Après Adolph Muschg en 2015 et Alberto Nessi en 2016, le jury du Grand prix suisse de littérature a choisi de couronner l‘œuvre en cours d’une femme à la personnalité attachante et au talent reconnu au-delà de nos frontières: Pascale Kramer, née à Genève, élevée dans le canton de Vaud et Parisienne d’adoption après quelques années passées à Zurich, aux États-Unis puis au nord de la France. Une géographie qui se retrouve dans ses romans même si les lieux ne sont que rarement nommés.
Une finesse d’écriture
Ses livres, traduits en allemand par Andrea Spingler, intéressent outre Sarine, un argument qui a son importance dans le choix d’un jury multilingue. Eleonore Sulser, critique littéraire au quotidien Le Temps et membre de ce jury, souligne la finesse des romans de Pascale Kramer, harmonieux dans la forme, noirs par les sujets.
Une grande empathie pour les exclus
Si l’écrivaine nous apparaît solaire, sa plume est sombre et l’univers qui s’en dégage souvent mélancolique, voire dépressif. À travers des thèmes forts - l’enfance maltraitée, la pédophilie, la fin de vie, les banlieues, le racisme - la romancière transpose ses interrogations avec un faible avoué pour les êtres décalés, exclus ou en rupture qu’elle se garde bien de juger, elle, dont l’empathie voire la compassion semble infinie.
Ce qui fait vibrer les lecteurs, c’est cette musique incroyablement limpide que Pascale Kramer déploie autour d’histoires souvent dures.
Cet orthophoniste suspecté d’avoir aimé de trop près une fillette, est-il coupable ou victime d’une société de plus en plus suspicieuse? ("Gloria", 2013). Pourquoi un brillant journaliste de gauche bascule-t-il dans la haine des autres et le racisme, et pourquoi en arrive-t-il à se suicider en avalant des morceaux de verre? ("Autopsie d’un père", 2016). Au lecteur de se forger sa propre opinion au fil d’un récit qui fait du même coup l’autopsie d’une région de France proche de Paris, mais oubliée des politiques.
Malaise des êtres, mal-être ambiant, Pascale Kramer semble avoir du monde une curiosité que le pessimisme imprégnant ses ouvrages n’altère pas. Le trouble est transmis à travers des images fortes et dépouillées qui touchent directement le lecteur tout en le laissant dans une sorte de flou atmosphérique, décalage qui contribue à ce que l’écriture ne se transforme jamais en morale.
Proche des gens ordinaires
Les romans de Pascale Kramer sont souvent qualifiés de romans sociaux. Pas faux, mais c’est évacuer trop rapidement la part littéraire de son œuvre, le soin accordé au style, le goût des mots qui plongent dans le quotidien des gens ordinaires. Des mondes que l’auteure fréquente concrètement pour garder le fil avec la réalité. Parmi d’autres expériences, cette année vécue dans un centre de stabilisation pour anciens sans-abri, hommes et femmes.
Pascale Kramer assure aussi la programmation du festival de films documentaires "Enfance dans le monde" et celle du Salon du livre africain de Genève. Des auteurs venus d’ailleurs dont elle, la romancière francophone installée à Saint Germain, se sent proche.
Anik Schuin/olhor
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"Chronique d’un lieu en partage"
Alors qu’elle travaillait à l’écriture de "Autopsie d’un père", son dernier roman paru, Pascale Kramer est allée vivre quelque temps parmi les résidents de l’ancien carmel de Condom (Gers): ex-détenus (dont un braqueur magnifique), retraités de la région, artistes, sans domicile fixe et voyageurs de passage, pèlerins en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle.
La romancière a partagé leur table et leurs discussions, écouté leurs difficultés, leurs espoirs et observé cette surprenante – et pas toujours facile - vie communautaire. Un livre en est issu, "Chronique d’un lieu en partage", qui raconte un lieu créé en 2010 par un discret – et utopiste?- millionnaire français. Un pas de côté journalistique pour Pascale Kramer, mais des rencontres qui viendront sans doute nourrir une prochaine fiction.