Le célèbre essai de l'écrivain japonais Tanizaki Junichirô, connu sous le titre "Éloge de l'ombre" sort dans une nouvelle traduction, "Louange de l'ombre", aux éditions Philippe Picquier.
Tanizaki Junichirô est l'un des plus grands romanciers de l'archipel, né à Tokyo en 1886, et décédé en 1965 à Yugawara. Son œuvre est connue notamment pour son érotisme et son éloge de la femme traditionnelle japonaise.
Son petit essai "L'éloge de l'ombre" a été publié en japonais en 1933. Traduit en français dès 1977. Quarante ans plus tard, voici une nouvelle traduction.
La beauté de l'ombre
Tanizaki regrette la modernité, qui représente pour lui une grande perte esthétique. La nuit, le noir, l'ombre sont pour lui des éléments essentiels de la beauté et de l'esthétique japonaise. Une beauté que l'on perd à cause, notamment, de l'éclairage électrique.
Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses.
Le romancier évoque des lieux, des matières, des objets dont l'ombre fait la beauté. Il parle également de la nourriture. Selon lui, pour apprécier la gastronomie nippone, il faut la déguster dans la pénombre, à la flamme vacillante d'une bougie. La cuisine japonaise a toujours été "indéfectiblement liée à l'ombre".
L'érotique de l'ombre
Il y a une érotique de l'ombre, chez Tanizaki. La beauté de la femme est liée au noir, à la nuit. Les geishas, avec leur visage poudré de blanc, leurs dents teintes en noir... L'ombre si attirante de leurs larges manches et de leur col, comme si elles n'avaient pas de corps.
Tanizaki est un esthète, un "antimoderne" (on n'attendait pas autre chose de lui, qui avait lu Baudelaire). N'aurions-nous pas perdu quelque chose d'essentiel, à vouloir tout éclairer, à toute heure, comme dans une grande surface permanente? À préférer ce qui brille à ce qui luit?
Oui, une part de rêve et de mystère. Dans l'ombre, le temps passe différemment, il a d'autres qualités. On peut, selon Tanizaki, y "ressentir l'éternité".
Julien Burri/ld