Dans "Faire le garçon" (éditions Zoé), il y a d’abord les chapitres impairs, réunis sous le titre générique "Enquête". L’auteur y a collecté différents documents, des souvenirs et des témoignages par lesquels il tente de cerner ce qui définit la virilité. Il s’interroge aussi sur les déterminismes et l’assignation à la virilité, en particulier dans la société rurale de son enfance, le très catholique Valais.
Les chapitres pairs, eux, sont intitulés "Roman". Jérôme Meizoz y évoque le cheminement d’un jeune homme sensible et solitaire refusant le rôle de mâle qui lui est imposé. En réaction, pour préserver sa liberté, ce "garçon au cœur de fille" fait commerce de ses caresses auprès de femmes délaissées. Il se prostitue, considérant son entreprise comme un acte d’amour.
Entre fiction et autobiographie
"Faire le garçon" constitue un assemblage de fragments, les uns à caractère documentaire, les autres ressortissant de la fiction romanesque. Dans les deux registres littéraires se trouve un personnage nommé "le garçon". Personnage fictif d’un côté, garçon en partie autobiographique de l'autre. Au fil du récit, les deux figures se superposent pour finalement se confondre.
Afin d’étayer son propos, Jérôme Meizoz convoque plusieurs auteurs fondateurs. A commencer par Annie Ernaux dont l’œuvre autobiographique mêle récit intime et regard ethnologique. Chez l’une et chez l’autre, les processus de domination masculine sont décrits avec sensibilité.
Quand mère s’est jetée sous le train, il a bien fallu trouver une femme de ménage.
Cette phrase d’anthologie est celle qui ouvre "Séismes", un premier récit autobiographique et fragmentaire publié en 2013 par Jérôme Meizoz. Avec pudeur, tendresse et parfois drôlerie, l’auteur s’y souvenait de son enfance passée à Vernayaz, de la perte de sa mère alors qu’il n’avait que huit ans. "Séismes" autant que "Faire le garçon" traduisent le regard distant qu’un homme mûr porte sur celui qu’il était quarante ans plus tôt et évoquent les conséquences intimes de l’absence maternelle, les ondes de choc que cette disparition brutale a provoqué sur une personnalité en construction.
A la première phrase de "Séismes", répond celle de "Faire le garçon":
Si ça vous chante appelez-le "J". N’importe quel prénom fera l’affaire.
Au-delà du jeu sur le "je" et sur sa propre personne, Jérôme Meizoz signifie là que son récit intime peut être représentatif d’un mode d’éducation répandu. Qu’il a valeur d’exemple.
Aucune fille n’est admise dans la troupe des guerriers en herbe. Que font-elles pendant ce temps? Les garçons ne s’en soucient pas. Même si elles se moquent des mascarades guerrières des boutonneux. De leurs allures de matamores dégingandés. De leur feinte arrogance, quand ils imitent les mâles. Deux mondes séparés, deux paysages. On imagine les filles avec leurs mères, couture ou cuisine, lecture ou danse, encerclées dans le monde domestique. Interdites de sortie vers la nuit, les lisières du monde habité.
Cette distinction très nette entre comportements masculin et féminin est depuis quelques décennies bousculée par un vaste champ de réflexion réuni sous l’appellation "études de genre". A plusieurs reprises, Jérôme Meizoz évoque ces théories venues des Etats-Unis. Celles-ci posent comme postulat que l’identité sexuelle est une construction, constituée par une interaction constante entre la part biologique et le contexte socio-culturel.
Quand le rapport au féminisme se complexifie
"Une pensée inquiétante pour ceux qui pensent qu’il existe une loi naturelle sur laquelle se fondent les identités de chacun", ajoute avec malice le romancier-essayiste, griffant au passage les catholiques conservateurs offusqués de voir apparaître ce genre de propos dans les manuels scolaires. Selon lui, ces études de genre complexifient le rapport au féminisme dans la mesure où s’opère la prise de conscience que les hommes comme les femmes subissent une norme masculiniste, source de souffrance pour les deux sexes.
En conclusion à son roman-essai, Jérôme Meizoz appose une citation de George Sand, comme une résonance à ce qui précède.
"Mon individualité n’a par elle seule ni signification ni importance aucune. Elle ne prend un sens qu’en tant que parcelle de la vie générale, celle de chacun de mes semblables, et c’est par là qu’elle devient de l’histoire."
Jean-Marie Felix/mh
"Faire le garçon" de Jérôme Meizoz est paru aux éditions Zoé.