S'il paraît treize ans après "Livret de famille", ce récit de Magyd Cherfi est chronologiquement antérieur. Il raconte l'année du bac de l'auteur. Il sera le premier à l'obtenir dans sa cité et l'épisode de la remontée de la rue Raphaël, le jour des résultats, est digne des meilleurs westerns.
Pour obtenir ce bac, le jeune Magyd a dû faire face à de multiples pressions, souvent violentes. Celle de sa mère d'abord, qui n'a plus que le mot "bac" à la bouche. Les vannes de la bande ensuite. Avec ses potes, Samir le militant et Momo le beau parleur, Magyd est régulièrement traité de pédé parce qu'il lit, et se fait même casser la gueule, pour la même raison.
Le poème sanctionné
Il y a la pression du désir adolescent, impossible à satisfaire dans une cité ou un poème adressé à une fille est sanctionné par une sévère correction, administrée sur le siège arrière d'une voiture par les frères et les cousins de la belle. Il y a aussi la pression des plus jeunes et des familles pour celui qui joue les grands frères, entre soutien scolaire aux petits et ambassade auprès des mères pour que leurs filles puissent assister à l'atelier théâtre.
Pression enfin de la France et des Français, qu'on ne peut accueillir dans la cité sans qu'ils se fassent démolir le portrait, et dont les appartements, quand ils vous y invitent, vous montrent le fossé abyssal qui vous sépare d'eux.
L'incroyable bande-son d'un livre fort
Alors, même si Magyd est le premier "arabe" de sa cité à obtenir le bac, son avenir ne s'annonce pas forcément rose. Et dans son cas, c'est la musique qui va faire la différence. Magyd aime la chanson française, et on croise au fil des pages des artistes aussi divers que Johnny Hallyday, Nougaro, Ferré, Brel, Michel Sardou, Lavilliers, Enrico Macias, Claude François, Renaud ou Higelin. Mais son maître reste Brassens, notamment avec "L'orage", la chanson préférée de Magyd.
Depuis "Livret de famille", l'écriture de Magyd Cherfi s'est densifiée et fluidifiée. Il parle à son lecteur comme à un ami, un confident. Là où l'auteur tentait d'attirer l'attention il y a treize ans, il dresse aujourd'hui un constat largement plus désabusé, comme si l'espoir s'était singulièrement amenuisé. Un livre fort sur l'un des problèmes majeurs de la France. La bande-son est d'une richesse incroyable et c'est toute une époque musicale qui est passée en revue.
Il y a le chââbi cher au père de Magyd avec Slimane Azem et Salah Sadaoui, mais aussi les Clash, Kool and The Gang, Marvin Gaye, Jackson Browne, Police, les Sex Pistols, Pink Floyd, Earth Wind and Fire, Bob Marley, Tom Waits ou John Lurie en plus de tous les artistes français déjà cités.
Mais la palme revient à James Brown. Le "Get Up" de James Brown, l'une des chansons croisées au fil des pages de "Ma part de Gaulois" (Actes Sud).
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Pascal Schouwey/ld