Les éditeurs parisiens ne s'en cachent pas, ils comptent sur la rentrée pour se refaire, tant les ventes du dernier semestre ont été catastrophiques: ce printemps, les Français ne lisaient pas mais vivaient de trépidantes aventures électorales.
Beaucoup de premiers romans
Aussi les stratégies ont été affutées. Constat réjouissant: les éditeurs n'ont pas seulement misé sur les valeurs sûres mais sur des premiers romans sélectionnés avec soin. Ils sont 81 petits nouveaux et plusieurs sont remarquables. Avec Guillaume Poix ("Les fils conducteurs", Verticales), qui nous entraîne de Genève au Ghana pour dénoncer les désastres écologiques du monde libéral, ou le Franc-comtois Thomas Flahaut ("Ostwald", L’Olivier) qui imagine la vie après une catastrophe, l'heure est aux nouvelles plumes pointues et originales.
Cela n'empêche pas la présence de stars, qui se sont surpassées: Marie Darrieussecq ("Notre vie dans les forêts" POL), nous offre une science-fiction très politique qui peut rappeler Orwell, en plus déjanté. Yannick Haenel ("Tiens ferme ta couronne", Gallimard), s’éprend dans une autofiction dingue de l’œuvre de Melville et des films de Cimino.
Comme on le voit, la littérature française version 2017 ne manque pas de vitalité, dans tous les genres.
Biopics et récits familiaux en vogue
Se confirme la vague des biopics, comme si les écrivains voulaient échapper à l'autofiction sans s'autoriser la fiction. Anne et Claire Berest ("Gabriële", Stock) cosignent la biographie de leur arrière-grand-mère, muse de Picabia. Lola Lafon ("Mercy Mary Patty", Actes sud), fait preuve d'audace en confrontant ses héroïnes à la figure de Patricia Hearst, riche Américaine passée à la lutte armée. Le réel surgit aussi dans des textes à thématiques politiques ou sociétales. Arno Bertina ("Des châteaux qui brûlent", Verticales), campe dans une usine où un ministre est pris en otage par des salariés.
Les récits familiaux restent présents et sont prétexte à creuser des pans de l’Histoire: Alice Zeniter ("L’art de perdre", Flammarion), fait la chronique d’une famille algérienne. Un passé colonial évoqué dans la fable de Kamel Daoud ("Zabor", Actes sud) et chez Kaouter Adimi ("Nos richesses", Seuil) qui fait revivre une librairie historique d’Alger.
Des textes qui marquent
Mais il faut surtout noter plusieurs textes hautement littéraires où l’écriture est un sujet en soi. Eric Reinhardt en particulier ("La chambre des époux", Gallimard), marque cette rentrée. Tout en relatant le cancer du sein de sa femme, il construit sous nos yeux dans une mise en abîme vertigineuse un roman sur un musicien dont la compagne est atteinte d’un cancer.
Jean-Philippe Toussaint ("Made in China", Minuit), Bertrand Leclair ("Perdre la tête", Mercure), mettent aussi en scène des écrivains en train d’écrire et donnent à réfléchir sur l’art romanesque.
Enfin, les médias adorant le glamour, un couple est à la une: Simon Liberati et Eva Ionesco. Il évoque son père ("Les Rameaux noirs", Stock), elle raconte ("Innocence", Grasset) comment sa mère, photographe d’art, la faisait poser nue enfant. Et ce retour sur une histoire douloureuse est une des belles surprises de la rentrée.
Sylvie Tanette/mh