Pour beaucoup d’auteurs, souvent confirmés, la collection blanche de Gallimard est un aboutissement. Pour Céline Zufferey, "le rêve absolu", dit-elle, est devenu d’emblée réalité. La jeune femme savoure son plaisir, elle qui multiplie les interviews médiatiques et les rencontres avec les lecteurs en cette rentrée littéraire. Quant à la pression qu’engendre un tel événement, la jeune auteure balaie la question en soulignant le magnifique travail d’éditeur dont elle a bénéficié.
Trouver son écriture
Le bonheur est dans les meubles. Ou plus exactement dans les images papier glacé dʹun catalogue qui montre des familles heureuses autour dʹune table chaleureuse ou joyeusement installés dans des coussins savamment tassés. Artiste contraint dʹaccepter un travail alimentaire dans le marketing, le narrateur se laisse tenter par les valeurs induites et la vie de couple.
Bien vite lassé par un quotidien sans gloire, le jeune homme, amateur de sites de rencontres virtuelles, se lance dans lʹimage pornographique. Le corps utilisé, à lʹimage dʹun meuble, pour susciter le désir.
Tu sais ce que je fais? Je photographie des familles parfaites, de fausses mères à côté de leurs fausses filles, des fenêtres qui ouvrent sur un soleil à deux cents watts et des pièces qui n'ont jamais de porte.
Tout est parti d’une image qui a fait, sur les murs de nos autobus, l’éloge du bonheur domestique à travers une affiche pour un grand magasin de meubles. Sans doute stimulée par sa formation en anthropologie sociale, Céline Zufferey a voulu gratter derrière la représentation et poser ses mots sur une époque à laquelle elle participe pleinement mais qui l’interroge.
Le bonheur est dans la mise en scène
Et la voilà qui se glisse dans la peau d’un artiste photographe contraint de pratiquer un boulot alimentaire: photographier des meubles pour le catalogue d’une célèbre enseigne, sans doute suédoise. Influencé lui-même par le très –trop- efficace marketing ambiant, le trentenaire se laisse tenter par les valeurs induites et la vie de couple genre papier glacé.
Au final, point de morale ni de profil psychologique mais une injonction: libérons-nous du factice et de la mise en scène.
La solitude de l'écrivain
Une construction impeccable, des phrases travaillées à l’os, un style qui épouse la critique sociale pleine d’ironie qui sous-tend le texte. Céline Zufferey a travaillé pendant de longs mois durant ses études à la Haute école des arts de Berne. Autour d’elle, quelques mentors et pas des moindres: Noëlle Revaz, Michel Layaz et Alexandre Friederich notamment.
Mais la primo-romancière, déjà remarquée et primée pour ses nouvelles, revendique aussi la solitude de l’écrivain. L’écriture certes implique technique et maîtrise, mais la "patte" demeure personnelle. Et, entre deux rendez-vous et avec un léger frisson, mélange de crainte et de jouissance, Céline Zufferey songe déjà à son prochain roman.
Anik Schuin/mcc
Céline Zufferey, "Sauver les meubles", Gallimard.