Entre lundi 6 et jeudi 9 novembre, la France, et le reste de la francophonie avec elle, a vécu une semaine d'intense activité littéraire, puisque les grands prix d'automne ont été décernés. Un phénomène annuel unique en Europe qui a ses limites – la littérature ne devrait pas être une compétition – et ses bons côtés: il n'est pas si courant de voir autant de romancières et romanciers au journal télévisé.
Le triomphe de la non-fiction
Si chaque année apporte son lot de commentaires, surprises et déceptions, la cuvée 2017 consacre le triomphe de la non-fiction, des textes écrits à propos de faits avérés plutôt que des romans d'imagination. Le Goncourt a en effet été décerné à Eric Vuillard pour "L'ordre du jour" (Actes Sud), dans lequel l'auteur explore un dîner en 1933 où de grands patrons allemands acceptent de financer le parti nazi et une rencontre entre Hitler et le chancelier autrichien en 1938.
Le Renaudot est allé à Olivier Guez pour "La disparition de Josef Mengele" (Grasset), qui raconte non pas les expérimentations auxquelles s'est livré le médecin nazi dans les camps de concentration, mais son exil en Argentine sous un faux nom.
Enfin, les jurées du Femina ont récompensé "La serpe" de Philippe Jaenada (Julliard), une enquête sur l'auteur du "Salaire de la peur", Georges Arnaud, accusé dans sa jeunesse d'avoir assassiné trois membres de sa famille.
Une littérature engagée
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette place prise ces dernières années par la non-fiction. La littérature française est en perpétuelle théorisation, du nouveau roman à l'autofiction, et cet engouement pour le récit pourrait être une évolution d'un questionnement déjà ancien sur l'articulation entre réel et représentation.
Eric Vuillard estime pour sa part que nul n'est besoin de fiction, car c'est l'écriture qui fait la littérature. C'est le cas de son livre – et des précédents – qui parvient à convoquer toute une époque en moins de deux cents pages. S'il n'invente rien lui non plus, Olivier Guez fait preuve d'une vraie démarche d'écrivain puisqu'il choisit de faire un pas de côté en observant la vie qu'a menée Josef Mengele après la guerre. Tous deux sont conscients des échos que leurs livres, pourtant écrits à partir de faits historiques, peuvent rencontrer dans le monde d'aujourd'hui. Le récit peut donc aussi être regardé comme une forme de littérature engagée version 2017.
Des auteurs cohérents
Philippe Jaenada incarne une autre facette de ce genre littéraire. Se mettant en scène lui-même, le romancier signe un texte plein d'humour et d'autodérision tout en se livrant à une enquête précise qui fait émerger une ambiance, celle de la France en 1941, même s'il ne traite pas a priori de grande Histoire.
Le Médicis par contre est allé à Yannick Haenel, pour "Tiens ferme ta couronne" (Gallimard), roman débridé et très drôle, au croisement de plusieurs genres littéraires: un peu d'autofiction, avec un narrateur écrivain parisien égaré, des aventures totalement rocambolesques, des personnalités connues, et mille références culturelles.
Cette cuvée 2017, dans une rentrée exceptionnelle par le nombre de très bons livres sortis cet automne, a le mérite de consacrer des auteurs cohérents dans leur travail. Qu'on le veuille ou non, le Goncourt est toujours une chance pour un romancier, même si d'autres prix prennent de l'importance, ceux décernés par des lecteurs plutôt que des professionnels: le Goncourt des lycéens, le Prix Inter, le Prix des lectrices de "Elle", sont vus par le public comme des prix "sincères", élaborés loin du microcosme parisien, et sont extrêmement populaires.
Sylvie Tanette/ld