Depuis des générations, les ancêtres paternels et maternels de Jérôme Garcin étaient médecins. Aujourd’hui, l’auteur de "La chute de cheval" a décidé de partir à l’assaut de cet arbre généalogique un peu étrange, de retracer cette lignée où les hommes se passent le caducée de père en fils ou de père en gendre, car dans la haute bourgeoisie médicale les grands professeurs accordaient volontiers la main de leur fille à leur étudiant le plus brillant.
"Il y a toujours un moment de sa vie où on se demande d’où l’on vient, de qui on tient", confie le romancier, critique littéraire et producteur du "Masque et la plume" à la RTS.
La question de l'héritage
Son roman "Le syndrome de Garcin" (éditions Gallimard) est donc d’abord le reflet d’une question que chacun se pose: de quoi hérite-t-on? Pour tenter d’y répondre, le romancier s’est plongé dans les archives et a reconstruit les parcours souvent sidérants de la horde de soignants qui l’ont précédé. Jusqu’à en distinguer deux, qu’il a bien connus. Son grand-père maternel, le pédopsychiatre Clément Launay, et surtout son grand-père paternel, le neurologue Raymond Garcin.
Et c’est bien cette figure mystérieuse qui l’occupe particulièrement dans son livre et en explique le titre, puisque ce grand-père a donné son nom à un syndrome. Un portrait qui, bien souvent, donne des clefs pour comprendre l’écrivain d’aujourd’hui.
L'exercice de la médecine tel que le concevait Raymond Garcin est très proche de l’exercice d'écrire tel que je le conçois.
Né dans une famille désargentée installée en Martinique, Raymond Garcin était arrivé tout jeune à Paris pour étudier la médecine, en pleine Première Guerre mondiale. Après un parcours académique sans faute, il a épousé la fille de son professeur. De cet aïeul taiseux, Garcin se souvient d’une vie entièrement consacrée au travail. Aujourd’hui, il s’interroge sur cet homme qui n’avait de toute évidence pas oublié son île natale, mais n’en parlait jamais. "Rares étaient ceux à qui il confiait ses nostalgies. Je ne suis pas sûr qu’il aurait voulu que je raconte tout cela aujourd’hui".
Un travail autobiographique
Ainsi le romancier ajoute une pierre à cet édifice personnel qu’il échafaude patiemment depuis vingt-cinq ans. Son travail autobiographique circulaire est construit autour de deux épisodes traumatiques: la mort, lorsqu’il était adolescent, de son père, l’éditeur Philippe Garcin, et surtout la disparition de son frère jumeau à six ans, une plaie jamais refermée déjà évoquée dans "Olivier".
Quand vous ajoutez le grand silence catholique au devoir de réserve médical et à la pudeur grande bourgeoise, vous avez une sorte de cocktail qui ressemble, même si elle est très jolie de l’extérieur, à une chape de plomb.
Chacun de ses livres explore une nouvelle dimension de cette histoire familiale et de la galerie de personnages qui la composent. Ici Garcin sait, dans un style classique tout en retenue, nous faire partager la complexité d’une vie d’homme qui fuit les dîners mondains, ne parle jamais de son exil, mais promeut toute sa vie les jeunes internes venus de loin. Surtout, l’écrivain réfléchit à l’interdiction de s’épancher qui a marqué son enfance.
Sylvie Tanette/aq
"Le syndrome de Garcin", Jérôme Garcin, Editions Gallimard, 2018