Ce sont quarante ans d’écriture que récompense le Grand Prix Suisse de littérature 2018, en choisissant de mettre en lumière l’œuvre de la Tessinoise Anna Felder (1937), née d’un père italien et d’une mère suisse-alémanique. "J'ai interprété ce prix, qui m'a naturellement surprise, je m'y attendais pas, comme un encouragement pour le prochain livre. On pense toujours que le prochain, sera "le" livre, celui qui est essentiel", dit-elle à la RTS.
Et pour cause, seul "Le Ciel est beau ici aussi" (Tra dove piove e non piove), son premier roman (1972), a été traduit en français en 2014 aux éditions Alphil. Un roman qui décrit la vie d’une jeune professeure qui enseigne aux enfants des migrants italiens venus travailler en Suisse dans les années 60.
L’œuvre d’Anna Felder est marquée par une grande attention à la langue, à la sonorité, à la musique des mots. Elle s’intéresse souvent davantage à la forme qu’au seul contenu. L’histoire ne compte pas si elle n’est pas écrite avec une grande attention au rythme et à la poésie des mots utilisés. Partant dans son premier roman d’une écriture plutôt classique, elle en est venue à des formes plus expérimentales qui se sont échafaudées avec le temps.
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Des récits brefs
Enseignante de langue italienne au Lycée d’Aarau pendant toute sa carrière, Anna Felder ne pouvait écrire que des récits très brefs, ce qui a déterminé la forme de son écriture, composée de fragments et de courts récits. Aujourd’hui cette forme d’écriture est devenue une signature, un genre où elle excelle. Avec toujours une grande exigence et une subtilité qui n’est pas dénuée d’humour.
Le premier à reconnaître la qualité de son œuvre fut le grand écrivain italien Italo Calvino, et cela dès la parution de son deuxième roman, "La Desdetta" (dont le protagoniste principal est un chat). Dans l’extrait d’une lettre citée par la revue Vice Versa en 2015, Calvino soulignait la qualité d’une écriture réservée aux lecteurs attentifs et intéressés.
Il ne faut pas espérer que ce soit un livre qui attire le public parce qu’en fait d’histoire, il ne se passe quasiment rien, et même parmi les critiques il ne sera remarqué que par ceux au palais très fin, parce que l’aura un peu élégiaque dans laquelle il est suspendu n’est pas faite pour allumer de grandes passions. Mais il y a un humour, un regard froid que j’apprécie beaucoup.
Discrète, sans concession au spectaculaire et aux thèmes favorisés par la mode, Anna Felder a tenu bon.
Et c’est aujourd’hui cette ténacité tranquille sur plusieurs décennies, et aussi une grande constance dans l’écriture qui sont récompensés par ce prix.
David Collin/mcc