Si Jules Verne a fait "Le Tour du monde en quatre-vingts jours", la Lausannoise Rinny Gremaud l'a parcouru en quelques mois, sans avoir eu l'impression de se déplacer. Elle a pourtant choisi des escales très différentes: Edmonton au Canada, Pékin, Kuala Lumpur, Dubaï et Casablanca, soit un périple de 38'000 kilomètres. Son objectif? Visiter, explorer et décrire les plus grands "malls" du monde, ces temples géants de la consommation et des loisirs.
Regard à la fois narquois et mélancolique
De cette expérience, elle a tiré un livre "Un monde en toc" aux éditions du Seuil, préfacé par l'écrivain Olivier Rolin. Car si l'approche de Rinny Gremaud est journalistique, sa plume, elle, est littéraire. Son regard à la fois mélancolique et narquois a fait merveille au quotidien "Le Temps" avant de réjouir les auditeurs de La Première avec "Sans sucre ajouté", des billets souvent satiriques mais jamais jugeants.
Le clonage des centres-villes
L'idée du livre est née d'une de ses observations: les centres de nos villes se ressemblent de plus en plus. Elles affichent les mêmes enseignes, les mêmes marques, offrent les mêmes cafés, les mêmes hamburgers, au nord comme au sud, à l'est comme à l'ouest. Alors, la journaliste a voulu poussé cette logique du même à son extrême, dans ces "malls" hyperluxueux, nés avec l'émergence de la classe moyenne. Elle ne dénonce pas, mais laisse parler le réel.
Pourquoi être virulent quand il suffit de montrer ce qui existe?
Et que montre-t-elle? Que ces géants de la consommation et des loisirs sont un concentré du monde, de ses inégalités, de ses hiérarchies sociales, de son uniformisation mais aussi un espace protégé du trafic et de la pollution, des îlots tempérés dans des climats souvent très rudes.
>>> A écouter l'entretien de Rinny Gremaud qui explique le sens de son voyage:
Elle a interrogé les riches clients mais aussi les petites mains qui exécutent des tâches ingrates; elle est allée à la rencontre de ces familles qui s'y rendent pour faire une sortie, chaque membre y trouvant son bonheur. Rinny Gremaud rappelle qu'à l'origine, il y avait le souci démocratique d'offrir une ville utopique à une clientèle disposée à consommer.
La fin de ces géants?
Mais toute chose ayant une fin, le modèle économique de ces mastodontes est aujourd'hui en difficulté, notamment par la croissance du commerce en ligne. C'est le cas du "mall" opulent de Casablanca qui a vu trop grand par rapport au pouvoir d'achat de la population.
Les centres commerciaux qui résistent à cette érosion sont ceux qui ont compris qu'il fallait remplacer les magasins par des offres de service ou de loisirs. Le complexe de Dubaï, impressionnant sur le plan architectural, offre par exemple des attractions très spectaculaires. On peut même y skier!
"Le voyage est toujours une épreuve physique", dit-elle. De son périple entre aéroport et "mall", de son pèlerinage dans les non-lieux de la planète, Rinny Gremaud est sortie exténuée. Et si son livre n'est ni un pamphlet ni une lamentation altermondialiste, il porte néanmoins le refus de son auteure à vivre dans ce monde-là.
Propos recueillis par Julie Evard/Réalisation web Marie-Claude Martin