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Thomas Sandoz signe un roman entre légèreté et intrigue cocasse

Thomas Sandoz [ccdille.ch - Michal Florence Schorro]
Thomas Sandoz: "La Balade des perdus" / Versus-lire / 38 min. / le 24 avril 2018
Après sept romans au climat sombre, Thomas Sandoz opère un virage serré vers l’humour corrosif et le road trip littéraire avec "La balade des perdus". Un dérapage volontairement incontrôlé pour ce fin psychologue.

Il s’appelle Luc. Agé de quinze ans, il n’a plus l’usage de ses jambes et vit dans une institution spécialisée. Entouré de trois autres adolescents possédant un sérieux handicap mental, Luc revient d’une virée au sud des Alpes dans un minibus de l’institution que conduit une éducatrice au tempérament bien trempé. De tête-à-queue en sorties de route, la petite caravane d’éclopés traversera le massif montagneux par les cols, en se confrontant à de multiples écueils techniques et humains.

Le minibus s’avérant hors d’usage à mi-chemin, il leur faudra user de mille expédients pour arriver à destination. Une équipée parfois sauvage, sous-tendue par un scandale politique auquel Luc est indirectement mêlé. Car le narrateur de ce récit est un fin psychologue, légèrement manipulateur.

Luc à l'esprit vif et au corps déficient

"Chaque fois que je parle de "La balade des perdus", ça me donne la banane, affirme Thomas Sandoz dans un éclat de rire. Plus je vieillis, plus j’ai envie d’écrire des choses légères et lumineuses". Une banane contagieuse, car son personnage Luc possède un esprit d’une rare vivacité à même de compenser un corps déficient.

Le handicap sévère, la difficulté à dire et la solitude qui en découlent, l’auteur les a déjà évoqués dans ses précédents romans, notamment dans "Gerb" où il donnait la parole à un jeune adulte privé de bras et de jambes. En ce sens, Luc est un héritier de "Gerb", vingt ans plus tard. La colère en moins. La lumière et le sens de la dérision en plus.

Voilà une heure que nous n’avons croisé aucun panneau publicitaire nous invitant à "vivre à fond" ou à "se donner à deux cents pour cent". Pas d’injonction radiodiffusée à "aimer son corps" ou à "être soi-même". Personne pour nous faire sentir que nous ne sommes que des larves.

Thomas Sandoz, "La balade des perdus" (Editions Grasset)

Par effet de contraste, Thomas Sandoz pointe de sa plume une société qui a érigé en valeurs suprêmes l’épanouissement individuel, la perfection du corps et la performance dans tous les domaines. Une injonction au bonheur à laquelle Luc, son personnage, a répondu ironiquement en s’infiltrant sur les forums de discussion. Au point que, sans le vouloir, le jeune homme est devenu le maître à penser d’un politicien décrié.

"Au début, Luc participe à ces forums pour se moquer de tous ces gens qui pleurnichent sur leur sort, ce qui le rend fou furieux, ajoute Thomas Sandoz. Le problème est qu'il trouve du répondant avec ses conseils en forme de boniments. Et il se cache, car il sait qu'on ne pardonnera jamais à un adolescent handicapé de prodiguer des conseils suivis d’effets".

Je regarde autour de moi et me surprends à soupirer. Que peut-on espérer de l’avenir quand on a passé la moitié de sa vie en marge d’une société qui, déjà, relègue aux confins obscurs les individus jugés peu performants ?

Thomas Sandoz, "La balade des perdus" (Editions Grasset)

La psychologie (celle du café du commerce comme celle plus officielle) intéresse Thomas Sandoz qui possède le titre de docteur en psychologie et a publié plusieurs essais sur les méandres de la psyché. "La grande question est de savoir si je suis un psychologue qui est devenu écrivain ou un écrivain qui a fait des études de psychologie. Je n’en sais rien. Mais dans les deux domaines, on trouve la notion d'empathie, une qualité qu'on peut développer, mais qui fait partie de ma personnalité. Croyez-moi, c’est pénible d’être empathique. J’aurais préféré ne pas être obligé de me dissimuler derrière la fiction pour pouvoir dire des choses", conclut l’auteur avec un troublant accent de sincérité.

C’est sans doute pour cela qu'on trouve en exergue à "La balade des perdus" une citation de Julio Cortazar: "Dis-moi quel masque tu mets, je te dirai quel visage tu as." Cela se confirme: entre Thomas et Luc s’est établie une relation d'empathie et de confiance. L’auteur pourrait bien porter le masque de son personnage.

Jean-Marie Félix/jd

Thomas Sandoz, "La balade des perdus", Editions Grasset

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