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Ces mots et slogans qui ont mis le feu (de joie) à Mai 68

Une bagarre boulevard Saint-Germain le 6 mai 1968. [AFP - Roger-Viollet]
L'Imagination au pouvoir / Nectar / 53 min. / le 1 mai 2018
Tandis que l'attention était focalisée sur les manifestants, le journaliste Walter Lewino et le photographe Joe Schnapp fixaient pour la postérité les graffiti éphémères apparus sur les murs de Paris. "L'Imagination au pouvoir" est aujourd'hui réédité.

En juin 1968, à peine un mois après le soulèvement de mai, paraissait un ouvrage devenu mythique "L'Imagination au pouvoir" du journaliste Walter Lewino et du photographe Jo Schnapp. Dès le début du soulèvement, les deux hommes ont compris qu'il se passait quelque chose d'inédit: en quelques jours, les murs de Paris, tapissés de graffitis, slogans et affiches, se sont mis à parler. Il fallait pérenniser cet éphémère.

Consommez plus, vous vivrez moins!

Graffiti de mai 68
"Les murs ricanent" écrivait Walter Lewino [Roger-Viollet - © Collection Roger-Viollet]
"Les murs ricanent" écrivait Walter Lewino [Roger-Viollet - © Collection Roger-Viollet]

Le coup de génie de Walter Lewino et Jo Schnapp est d'avoir compris tout de suite l'importance des mots, de les avoir photographiés au jour le jour et d'avoir publié rapidement le résultat de leur travail, laissant ainsi une trace visible du cri de révolte de la jeunesse.

"L'Imagination au pouvoir" publié la première fois en juin 1968 chez Eric Losfeld, éditeur sulfureux et agitateur culturel, vient d'être réédité aux éditions Allia. La version 2018 se voit enrichie d'une préface de Michèle Bernstein, première épouse de Guy Debord et situationniste de la première heure. Elle est postfacée par Alain Schnapp, historien, archéologue et frère de Jo Schnapp.

La société est une fleur carnivore

Graffiti de mai

Le situationnisme et sa passion du détournement

Ce qui avait frappé Walter Lewino à l'époque, c'est l'influence de l'Internationale situationniste sur ces écritures spontanées: goût du calembour comme arme politique, passion du détournement, ironie permanente, mais aussi critique acerbe de la société de consommation et du spectacle, outil de propagande du pouvoir capitaliste.

"Le spectacle est la religion de la marchandise" écrivait Guy Debord, un des fondateurs du mouvement né en 1957 et dissout en 1972. Malgré son existence brève et le nombre limité de ses membres - 70 au total - le mouvement aura durablement marqué le XXe siècle.

La société achète ton bonheur. Vole-le!

Graffiti situationniste

"Pour les situationnistes, la politique n'était efficace que si elle était structurée par le souffle poétique", explique Alain Schnapp au micro de la RTS. L'historien fait remarquer que cet appel à réfléchir sur la condition humaine, cette approche à la fois humaniste et anarchiste, remonte aux Lumières. Il rappelle une phrase de Diderot qui fait écho à un des graffiti de mai: "Si une ruine vous plaît, volez-la!"

Un des graffiti photographié par Jo Schnapp [AFP]
Un des graffiti photographié par Jo Schnapp [AFP]

Mai 68 fut-elle une Révolution? Pour Michèle Bernstein, "elle fut d'abord une fête". Pour Alain Schnapp, une révolte spontanée, née dans le dos des appareils politiques, institutionnels, syndicaux, mais aussi le moment d'une double invention: lexicale et technique, grâce à de nouveaux procédés d'impression.

"Un grand moment d'autoréflexion qui a coïncidé avec une certaine gaîté", conclut Alain Schnapp.

Propos recueillis par Linn Levy

Réalisation web Marie-Claude Martin

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