Dans son livre "Chiens" (éditions PUF), le philosophe Mark Alizart remercie 19 chiens, dont le sien, maître Eckhart, inversant ainsi l'ordre hiérarchique. Et si le meilleur ami de l'homme était aussi son professeur de vie?
Telle est l'hypothèse du jeune philosophe. Si l'homme descend du singe, il descend aussi du chien selon l'hypothèse de certains biologistes, héritiers de Darwin. Le long compagnonnage entre l'homme et le canidé (entre 35'000 et 1000'000 ans), cette proximité qui se lit aussi aussi bien dans le ciel avec la constellation du Canis Major que dans les mythes fondateurs, cette co-évolution a certainement profité à l'homo sapiens. Par sa vigilance, sa capacité à veiller et chasser, notamment les loups, le chien n'a cessé de protéger l'homme.
Mark Alizart dit avoir écrit ce livre après avoir découvert combien la mort de son chien l'avait affecté, combien il se sentait orphelin et que lui manquait tout-à-coup la joie que l'animal lui prodiguait.
Animal joyeux, donc un sage
Car si le chien est fidèle, loyal, sans ambiguïté comme disait Freud, il a aussi comme autre qualité d'être joyeux. Une joie d'être, plutôt qu'un bonheur, comme si le corps était traversé par une sorte d'électricité qui faisait frétiller la queue. Cette joie est d'autant plus mystérieuse et miraculeuse que le chien aurait toutes les raisons d'être malheureux.
Ne dit-on pas "Une vie de chien" ou "Un mal de chien?"
Le bonheur impassible
Ecarté de la meute des loups, condamné à errer seul ou à se soumettre à des maîtres, le chien aurait pu devenir dépressif comme le sont les animaux de zoo. "Au lieu de cela, il a conçu une sorte de détachement comme Droopy, mon chien préféré, qui répète toujours: "I'm happy" d'un ton impassible", explique Mark Alizart
Pourtant, le chien n'a pas toujours bonne réputation. Même cette joie a été discréditée, souvent associée à l'imbécillité, à l'image de Rantanplan, le chien le plus bête du monde. Autre image négative dans la culture populaire, le chien peureux à l'instar de Scooby-Doo ou vicieux, proche de ses instincts et heureux de sa soumission, d'où l'insulte "sale chien" et pire encore, "Sale chienne!". Un déclassement lié à sa domestication.
On en veut au chien d'avoir trahi quelque chose de sa sauvagerie primitive, d'avoir sacrifié sa liberté pour un confort de dominé. C'est exactement la morale de la fable de La Fontaine "Le Loup et le Chien"
Pour les Anciens pourtant, le chien est une belle figure de passeur: il a une patte dans la culture, l'autre dans la nature. Il est gardien, vigile, protecteur. C'est lui qui assume le passage entre la vie et la mort, le jour et la nuit, le ciel et la terre. "C'est un animal dialectique, donc philosophe", conclut Mark Alizart qui aime donner à ces chiens des noms de grands ancêtres. Avant maître Eckart, il y a eu Martin Luther, des "théolochiens".
Propos recuillis par Julien Magnollay
Réalisation web: Marie-Claude Martin