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Yambo Ouologuem ou l’histoire tragique d’un livre et de son auteur

L'écrivain malien Yambo Ouologuem à Paris, le 18 novembre 1968. [AFP - AFP FILES]
Yambo Ouologuem: "Le Devoir de violence" / Versus-lire / 36 min. / le 18 juin 2018
En 1968, le prix Renaudot est décerné pour la première fois à un auteur africain. Mais les accusations de plagiat auront raison de Yambo Ouologuem. Cinquante ans plus tard, son roman considéré aujourd’hui comme un ouvrage majeur est réédité.

Tout avait si bien commencé. En 1968, "Le Devoir de violence", premier roman de Yambo Ouologuem, est publié par les éditions du Seuil et obtient, dans la foulée, le très convoité prix Renaudot. Mais le jeune malien de 28 ans n’a guère le temps de savourer sa réussite. Le courroux des africains puis les accusations occidentales le cueillent en pleine euphorie. La charge sera lourde et sans pitié.

Les Africains, chantres de la négritude en tête, reprochent à l’auteur de donner de l’Afrique une image négative qui brise le rêve des indépendances. Yambo Ouologuem casse en effet l’idée d’une Afrique rayonnante d’avant la colonisation française et dénonce le rôle des Africains et des commerçants arabes dans la traite négrière en même temps qu’il dépeint des roitelets prêts à toutes les cruautés et les compromissions. En regard, les colons européens passeraient presque pour des enfants de chœur.

Une fable hallucinée

En écrivant une saga qui court sur huit siècles et à travers la dynastie imaginaire et sanguinaire des Saïd, qui règne sur une région qui ressemble au Mali, Yambo Ouologuem cogne fort et n’épargne personne, ni les rois ni les vassaux, ni le peuple -pourtant accablé-  traité de "négraille", ni les marabouts ni les ethnologues naïfs et rusés.

Dans l’attente de ce grand jour de la proche éclosion du monde où le serf est l’égal du roi, la négraille –court lien à méchant chien !- accepta tout. Pardonnez-nous Seigneur. Amba, Koubo oumo agoum.

Yambo Ouologuem, "Le Devoir de violence"

"Le Devoir de violence" est une fiction qui entre en écho avec des tas de choses qui n’ont pas été dites mais c’est une fable, une fable hallucinée. Ouologuem montre aussi à quel point on a construit l’image de l’Afrique. "Il crée un univers qui n’a plus rien d’idéal tel que pouvaient le souhaiter un Senghor ou un Césaire", précise le professeur Christine Le Quellec Cottier à la RTS. Pour Ouologuem, rien n’est tabou et surtout pas le sexe, sa plume détaille des scènes, y compris homosexuelles, avec des mots très crus. Voilà qui n’arrangera pas ses affaires.

Des emprunts tous azimuts

L’histoire du livre et du destin de l’auteur ne s’arrêtent pas là. Par le biais de chercheurs américains, Yambo Ouologuem est accusé de plagiat. Si André Schwartz-Bart se déclare flatté de reconnaître dans les lignes de Ouologuem "Le Dernier des Justes", Graham Greene porte plainte. Au début des années septante il n’est pas encore question d’intertextualité et les emprunts nombreux et avérés  -Maupassant, Flaubert, la Bible, le Coran...- font scandale. Le Seuil s’incline et retire "Le Devoir de violence" des rayons. Yambo Ouloguem, écoeuré, quitte Paris où il a étudié pour un village dogon et s’enferme dans le silence et la religion, refusant tout contact avec les blancs. Il publiera deux autres livres sous pseudonyme dont un ouvrage érotique.

Des échos contemporains

"Le Devoir de violence" a des échos terriblement contemporains - on y reconnaît avant l’heure Boko Haram et Daesch - et le style de l’auteur n’a rien perdu de sa force. Aujourd’hui, Yambo Ouologuem est considéré, y compris dans son pays, comme un grand écrivain et les hommages se multiplient à l’occasion de cette réédition favorisée par sa descendance. Trop tard pour l’auteur, décédé en octobre dernier.

Anik Schuin/olhor

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