60 ans et pas une schtroumpf

Grand Format

©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)

Introduction

C'est le 23 octobre 1958 que Peyo introduisait pour la première fois des petits lutins bleus dans une bande dessinée. Soixante ans plus tard, la machine Schtroumpf fonctionne toujours à plein régime.

Chapitre 1
Les origines

"Vous ne pouvez pas regarder où vous mettez vos schtroumpfs? Vous avez failli me schtroumpfer!": cette petite phrase inattendue dans les pages du magazine belge Spirou le 23 octobre 1958 lance une folle aventure remplie de petits êtres bleus, de salsepareille et même d'un redoutable oiseau appelé Cracoucass.

C'est précisément sur la planche 36 de la neuvième histoire de Johan et Pirlouit, des héros imaginés par le dessinateur belge Peyo dix ans auparavant, que les Schtroumpfs font leur apparition. Ils emmènent les deux humains géants dans leur village en champignons et on entre pour la première fois dans leur univers merveilleux.

Johan et Pirlouit découvrent les Schtroumpfs. [Peyo © Dupuis, 2018]
Johan et Pirlouit découvrent les Schtroumpfs. [Peyo © Dupuis, 2018]

Personnages secondaires de l'album "La flûte à six schtroumpfs" de Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs auraient pu en rester au rôle de faire-valoir des deux jeunes garçons, mais tant le public que Peyo en ont redemandé, flairant le bon filon bleu.

Schtroumpf alors, on continue! Le premier album uniquement consacré aux lutins sort un an plus tard et 36 tomes en tout sont parus depuis lors, sans compter les 272 dessins animés, les quatre films, les milliers de produits dérivés et même des parcs à thème. Et le décès de Peyo n'a de loin pas freiné la vague bleue qui se déverse en continu sur le monde de la bande dessinée.

>> A écouter: Philippe Duvanel, ancien directeur de BDFil, évoque les 60 ans des Schtroumpfs :

Les premiers Schtroumpfs dessinés par Peyo n'avaient pas l'aspect qu'on leur connaît aujourd'hui. [Archives Peyo © Dupuis, 2018]Archives Peyo © Dupuis, 2018
Nectar - Publié le 22 octobre 2018

Rencontre avec un passionné

Stephan Rutsche aime les schtroumpfs. Passionnément. Il collectionne les figurines et les met en scène autour de racines ou de champignons qu'il ramasse en forêt. "Ce n’est pas une collection qui est sur une étagère où il ne faut pas qu’ils prennent la poussière, je veux leur donner vie à ces Schtroumpfs", raconte au 19h30 ce Romand fan depuis l’enfance.

A la rencontre d'un passionné des Schtroumpfs
L'actu en vidéo - Publié le 23 octobre 2018

Chapitre 2
Peyo et l'après-Peyo

Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)

Pierre Culliford est né à Bruxelles le 25 juin 1928. Projectionniste dès l'âge de 15 ans, il fait ensuite un passage comme gouacheur dans un studio de dessins animés. Il y rencontre des monstres sacrés de la BD que sont Franquin et Morris.

Mais le studio ferme ses portes et celui qui décide alors de s'appeler Peyo veut persévérer dans le dessin, même si ses débuts sont difficiles.

Alors qu'il peine à publier ses BD, dont les aventures d'un page nommé Johan et celles du chat Poussy, Peyo retrouve par hasard Franquin, qui l'aide à entrer au magazine Spirou. Le jeune dessinateur prend de l'assurance et décide d'affubler son héros Johan d'un jeune lutin comique qu'il prénomme Pirlouit.

Tous les enfants dessinent. Certains d'entre eux décident de devenir des adultes, des gens sérieux, et puis il y en a d'autres qui refusent de passer le cap et font de la bande dessinée.

Peyo

Et c'est dans leurs aventures que Peyo a le génie d'insérer les Schtroumpfs avant que les lutins bleus n'aient leur propre vie et leurs propres histoires. La première, "Les Schtroumpfs noirs", paraît en 1959 sous forme d'un mini-récit dans le journal Spirou.

Ses nouveaux héros lui prennent toutefois de plus en plus de temps et Peyo finit par abandonner ses autres héros, Johan et Pirlouit, Benoît Brisefer et Poussy, d'autant que le public ne réclame que les Schtroumpfs.

En 1964, le dessinateur ouvre le studio Peyo à Uccle, en Belgique, et y place son atelier et des places de travail pour ses collaborateurs, qui l'aident à réaliser les Schtroumpfs. Parmi ceux-ci figure notamment un jeune auteur suisse encore inconnu du nom de Derib.

Peyo montrant à ses enfants comment dessiner les Schtroumpfs. [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
Peyo montrant à ses enfants comment dessiner les Schtroumpfs. [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

Après avoir suivi les adaptations au cinéma et à la TV de ses personnages, après avoir tenté en vain l'aventure du magazine Schtroumpf, après avoir changé d'éditeur, Peyo continue son travail à un rythme plus lent dans les années 80. Atteint dans sa santé, il décède d'une crise cardiaque le 24 décembre 1992, un mois après la parution de sa 16e et dernière aventure, "Le Schtroumpf financier".

Une narration claire, un humour subtil et poétique, un graphisme simple et efficace, une créativité constante et un attachement sans faille à ses personnages ont inextricablement lié Peyo et les Schtroumpfs. Et ce décès devait signer l'arrêt logique des aventures. Mais la famille de l'auteur a décidé de les poursuivre et comme souvent en BD, des personnages ont survécu à leur auteur.

Peyo lisant les Schtroumpfs en famille. [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
Peyo lisant les Schtroumpfs en famille en 1963. [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

L'épouse de Peyo Nine Culliford a ainsi continué de mettre en couleurs les Schtroumpfs jusqu'à son décès en 2016, alors que le fils de Peyo Thierry Culliford a repris les scénarios, s'attachant les services de plusieurs dessinateurs, pour les tomes 17 à 36. Et il semble qu'on ne va pas s'arrêter de sitôt.

>> A voir: En 1976, le dessinateur Peyo expliquait à Bernard Pichon la génèse de ces personnages bleus :

Il y a 60 ans naissaient les Schtroumpfs
L'actu en vidéo - Publié le 23 octobre 2018

Chapitre 3
Le langage schtroumpf

Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)

L'anecdote est bien connue dans le monde de la BD: le langage des Schtroumpfs est né avant les personnages eux-mêmes. Lors d'un joyeux dîner avec le dessinateur Franquin, Peyo souhaite que son ami lui passe la salière, mais ne trouvant pas le mot, il balbutie un "Passe-moi le... le schtroumpf".

Ni une ni deux Franquin répond: "Quand tu auras fini de schtroumpfer, tu me le reschtroumpferas." Et les deux se mettent goguenardement à parler schtroumpf, sans avoir immédiatement l'idée d'en faire quelque chose. Ce n'est que quelques années plus tard que Peyo repense à cette conversation.

Quand ils parlent, les Schtroumpfs rajoutent du schtroumpf par-ci ou par-là apparemment dans le plus grand désordre comme par exemple dans la sentence du Grand Schtroumpf dans "Le faux Schtroumpf": "Ce schtroumpf est un grand schtroumpf pour tous les Schtroumpfs! C'est grâce à votre schtroumpf à tous que nous avons pu schtroumpfer ce schtroumpf d'art qui je n'ai pas peur de le schtroumpfer..."

Peyo prend bien soin de ne pas trop rajouter de schtroumpf dans ses bulles car on doit toujours prioritairement comprendre le propos. Il n'utilise donc généralement qu'un seul "schtroumpf" par phrase, à part peut-être le Schtroumpf à lunettes qui aime les aligner dans ses morales proverbiales. La formule est logiquement conjuguée s'il s'agit d'un verbe.

L'album référence en matière de langage schtroumpf est "Schtroumpf vert et vert Schtroumpf" dans lequel les petits êtres bleus s'écharpent pour savoir si l'on doit dire "schtroumpf-bouchon" ou "tire-bouschtroumpf", "Petit Chaperon schtroumpf" ou "Petit Schtroumpferon rouge" ou encore "Une tasse de schtroumpf" ou une "schtroumpf de thé". Le village est si divisé entre ceux du sud et ceux du nord que le Grand Schtroumpf doit recourir à Gargamel pour régler la situation.

Au final, si les Schtroumpfs eux-mêmes peinent à accorder leurs schtroumpfs sur leur langage, les hommes y perdent vite leur latin. Ainsi quand Pirlouit s'y essaie dans "La flûte à six Schtroumpfs", il reçoit une hache, alors qu'il avait demandé à manger. Et quand Gargamel parvient à prendre l'apparence d'un Schtroumpf, il préfère rester muet pour ne pas être démasqué.

La 3e planche de "Schtroumpf vert et vert Schtroumpf". [Peyo © Dupuis, 2018]
La 3e planche de "Schtroumpf vert et vert Schtroumpf". [Peyo © Dupuis, 2018]

Certains sémiologues reconnus se sont d'ailleurs essayés à mieux définir ce langage, à l'image d'Umberto Eco. Dans "Kant et l'ornithorynque", celui qui est aussi l'auteur du "Nom de la rose" constate que la langue schtroumpf fonctionne surtout si un environnement adéquat donne les informations utiles à la compréhension. En clair, il faut que les mots environnants aident à saisir de quoi on parle. Mais le sémiologue va plus loin en affirmant que la compréhension du langage schtroumpf passe par l'utilisation de discours connus de tous, de formules familières, de phrases déjà entendues.

Mais au-delà des considérations linguistiques, il faut surtout dire que la langue schtroumpf se veut simple et enfantine. Et qu'y a-t-il de compliqué quand le village s'appelle le village Schtroumpf, que la rivière, c'est la rivière Schtroumpf et le pont, le pont Schtroumpf.

Chapitre 4
Les Schtroumpfs emblématiques

Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)

Au départ, tous les Schtroumpfs se ressemblent et ils n'ont pas de personnalité propre qui les différencie: peau bleue, bonnet et culotte blanches. On ignore s'ils ont des cheveux, ils n'enlèvent jamais leur bonnet, même pour se baigner.

Pour Antoine Bueno, auteur du "Petit livre bleu" (Hors Collection, 2011), ces petits êtres bleus, qui se ressemblent tous et qui vivent en collectivité sous le joug d'un chef en habits rouges, seraient des communistes à tendance stalinienne.

>> A écouter: la chronique de "La Matinale" avec l'intervention d'Antoine Bueno :

Le Grand Schtroumpf survolait une parade à Bruxelles en février 2009. [Reuters - Yves Herman]Reuters - Yves Herman
La Matinale - Publié le 23 octobre 2018

C'est la veuve de Peyo et coloriste Nine Culliford qui a eu l'idée de la couleur bleue et a souvent expliqué pourquoi: comme ils vivent dans la forêt, le vert les aurait fait passer inaperçus, le rouge était trop voyant et le jaune pas très heureux. Il ne restait que le bleu.

Mais combien sont-ils? Le débat est sans fin chez les schtroumpfophiles. Les puristes tiennent au nombre de 100 Schtroumpfs. Dans l'une premières des aventures, ils ne sont que 99 et c'est un subterfuge avec un miroir qui crée le chiffre de 100 Schtroumpfs, tous âgés de 100 ans, sauf le Grand Schtroumpf, qui a lui atteint l'âge canonique de 542 ans.

Le Grand Schtroumpf [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
Le Grand Schtroumpf [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

Puis de nouvelles aventures ont fait augmenter le nombre de Schtroumpfs, que ce soit dans de nouveaux albums ou dans les films d'animation: Gargamel crée la Schtroumpfette et ils sont 101, puis 102 avec le bébé Schtroumpf.

Plus tard, c'est Sassette qui débarque, suivi du Vieux Vieux Schtroumpf et de Mémé Schtroumpf, du Schtroumpf Sauvage et du Schtroumpf Robot. Certains estiment ainsi le nombre de lutins à 107. Mais d'autres personnages sont apparus par la suite, boudés par certains et adoptés par d'autres, comme les personnages du village des filles.

Au départ, un seul Schtroumpf possède une véritable personnalité et une allure différente: le Grand Schtroumpf est le seul à être habillé de rouge et le seul à avoir une barbe, signe de son grand âge. Il est aussi le plus intelligent, le garant de l'autorité et le magicien du village: ses potions permettent des miracles, même si elles ne sont pas toujours au point. Il n'hésite pas à risquer sa vie pour ses protégés et sait aussi se montrer taquin ou ronchon.

La Schtroumpfette et le Schtroumpf à lunettes [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
La Schtroumpfette et le Schtroumpf à lunettes [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

L'autre personnage emblématique est la Schtroumpfette, qui apparaît dès le 3e album, qui porte son nom. C'est le sorcier Gargamel qui la crée pour tenter une fois pour toute de se venger des Schtroumpfs. A l'origine affublée de cheveux courts et noirs, elle porte une robe blanche et de longs cheveux blonds après diverses péripéties et une intervention du Grand Schtroumpf. C'est alors que tous les Schtroumpfs tombent définitivement amoureux d'elle.

Autre lutin incontournable, le Schtroumpf à lunettes est le sous-chef non officiel du village et surtout le grand moralisateur qui lève sans cesse son index pour adresser ses semonces aux autres villageois. Il se différencie dès les premiers albums par son port de lunettes et il devient vite la tête de turc, recevant cadeaux explosifs et coups de marteau.

Le Schtroumpf grognon est le seul à manifester un vrai mauvais caractère depuis qu'il a été piqué par la mouche Bzz dans "Les Schtroumpfs noirs". S'il aligne les "Moi j'aime pas...", son attitude boudeuse cache tout de même un coeur en or, notamment quand le bébé Schtroumpf fait irruption au milieu des champignons, apporté par une cigogne.

Parfois confondu avec le Schtroumpf cuisinier, qui fabrique de magnifiques mets, le Schtroumpf gourmand est celui qui les mange. Il est particulièrement friand de salsepareille, la nourriture préférée des Schtroumpfs.

Toujours le sourire aux lèvres et un cadeau jaune à ruban rouge entre les mains, le Schtroumpf farceur est le clown de l'équipe. Il n'aime rien mieux que d'offrir un présent à un autre Schtroumpf et s'esclaffer bruyamment quand l'explosion retentit et noircit le visage de sa victime.

Le Schtroumpf coquet [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
Le Schtroumpf coquet [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

Montagne de muscles, le Schtroumpf costaud semble invincible et aide ses concitoyens à transporter les choses lourdes, même s'il est parfois un brin bagarreur. Un tatouage en forme de coeur rouge le distingue des autres lutins.

Le Schtroumpf coquet ne vit que pour se regarder dans un miroir qu'il ne quitte jamais. Sa coquetterie se manifeste aussi par une fleur accrochée à son bonnet.

Attendrissant et candide, le Schtroumpf bêta ne comprend rien à rien et c'est pour cela qu'on l'aime. Quand le Grand Schtroumpf lui demande un boulon, il apporte un écrou et quand le Grand Schtroumpf lui demande un écrou pour avoir un clou, il apporte une vis.

Artisan, forgeron et ingénieur, le Schtroumpf bricoleur est aussi l'inventeur du village, des créations plus ou moins réussies comme la machine qui dérègle le temps ou le Schtroumpf robot. Il est reconnaissable au crayon qu'il porte à l'oreille.

Le Schtroumpf musicien [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
Le Schtroumpf musicien [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

Le Schtroumpf musicien se prend pour Mozart, mais n'est pas très doué. Quel que soit l'instrument qu'il touche, les notes sont fausses et assourdissent ses camarades. Mais il ne renonce jamais.

Si l'on entend ronfler sous un arbre, pas de doute, c'est le Schtroumpf paresseux, qui passe ses journées à dormir. Il est la cible privilégiée des sermons du Schtroumpf à lunettes avec le Schtroumpf maladroit, qui casse tout ce qu'il touche et tombe dès qu'il y a moyen de tomber.

Du Schtroumpf poète au Schtroumpf paysan en passant par le Schtroumpf tailleur, ce sont des dizaines de Schtroumpfs qui apparaissent dans les albums et les dessins animés avec presque autant de professions différentes: pompier, reporter, infirmier, mineur, peintre, potier ou acteur.

Chapitre 5
36 aventures schtroumpfantes et autant d'anecdotes

Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)

Depuis 1958, ce sont 36 albums des Schtroumpfs qui ont été publiés au total, sans compter les suppléments, les histoires courtes et les aventures propres aux dessins animés et aux films. Depuis quelques années, un album paraît chaque année.

Les 16 albums imaginés par Peyo sont évidemment les plus savoureux, car ce sont eux qui font découvrir les Schtroumpfs emblématiques et qui les voient évoluer vers leur aspect définitif et vers une personnalité différenciée. Ce sont aussi eux qui dévoilent les personnages emblématiques qui les entourent. Les nouveaux albums mettent eux en scène des histoires plus modernes, trop modernes selon les puristes, avec des personnages remis au goût du jour, peut-être pour éviter que l'univers schtroumpf ne tombent dans la désuétude.

Ce chapitre vise une plongée non exhaustive dans cet univers via une présentation succincte de quelques albums emblématiques.

"Les Schtroumpfs noirs" est le premier album publié par Peyo et les lutins ont failli être carrément éradiqués à la fin de l'histoire. La faute à une étrange abeille qui pique l'un des Schtroumpfs à la queue et le transforme en un être aussi noir qu'agressif. Vociférant des "Gnap" inquiétants, celui-ci se rend au village et mord ses congénères, les transformant à leur tour, ouvrant la porte à une épidémie que seul un coup du sort pourra vaincre. Au-delà d'une mise en perspective des grandes épidémies mondiales, cet album aux airs de "Walking Dead" sans le gore a parfois été critiqué pour son racisme anti-noir, mais la polémique n'a jamais vraiment pris d'ampleur.

La 3e planche des "Schtroumpfs noirs". [Peyo © Dupuis, 2018]
La 3e planche des "Schtroumpfs noirs". [Peyo © Dupuis, 2018]

A noter aussi que ce premier album comporte trois histoires. Dans la deuxième, on apprend l'existence d'un méchant sorcier nommé Gargamel. Mais ce n'est que dans la troisième, "Le voleur de Schtroumpf", que l'ennemi juré des Schtroumpfs apparaît en chair et en os, accompagné de son fidèle sac à puces Azraël. Le sorcier et son chat seront dès lors des acteurs récurrents des albums, jurant la perte des Schtroumpfs et tentant sans cesse de se venger sans jamais réussir à trouver le village en champignons. Son nom proviendrait de Gargamelle, un personnage féminin de "Gargantua" de Rabelais. Quant à Azraël, aussi bête que glouton, son nom est celui de l'ange de la mort dans la tradition hébraïque.

Dans les années 50 et 60, la conquête lunaire est un sujet qui passionne. Et quelques années après Tintin dans "Objectif Lune" (1953), un autre héros accomplit ce rêve, certes avec un subtil subterfuge: "Le cosmoschtroumpf". Peyo publie l'histoire pour la première fois en 1967 dans un album publicitaire et pour la deuxième en 1970 sous forme d'album. Entre deux, Neil Armstrong est passé par là.

L'infâme Gargamel. [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]
L'infâme Gargamel. [©Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)]

"Schtroumpf vert et vert Schtroumpf": au-delà de sa polémique langagière, il se murmure que Peyo se soit inspiré de la querelle linguistique belge pour imaginer cette histoire. Les Schtroumpfs du nord face aux Schtroumpf du sud semblent aussi irréconciliables que ne le sont parfois les Flamands et les Wallons. Plusieurs décennies plus tard, la problématique n'a pas pris une ride au Plat pays.

"Les Schtroumpfs et le cracoucass" met en avant l'idée que la science mal contrôlée peut mener au désastre. Il fait aussi apparaître un animal maléfique que tous les enfants adorent: le cracoucass. Chargés d'aller enterrer une potion démoniaque, deux Schtroumpfs la jettent dans un ravin et un oisillon l'avale, devenant un oiseau destructeur. L'oiseau a d'ailleurs été dessiné par Franquin, le père de "Gaston Lagaffe".

Le terrible Cracoucass. [Peyo © Dupuis, 2018]
Le terrible Cracoucass. [Peyo © Dupuis, 2018]

"La Soupe aux Schtroumpfs" fait intervenir un autre personnage que les enfants adorent voir débarquer: Grossbouf, un ogre géant pas particulièrement méchant, mais prêt à tout pour manger n'importe quoi. Sa phrase favorite, et presque la seule, est d'ailleurs "Grossbouf a faim."

Comme la plupart des autres albums, "Le Schtroumpfissime" résonne avec une certaine actualité. Alors que le Grand Schtroumpf s'est absenté, les Schtroumpfs se chamaillent pour la direction du village. L'un d'entre eux se découvre politicien avant l'heure et use de multiples stratagèmes bien connus des arènes politiques, magouilles ou discours démagogiques, pour gagner les élections. Une fois élu, le Schtroumpfissime voit évidemment le pouvoir lui monter à la tête et il impose vite ce qui s'apparente à une dictature. A travers cet album pour enfant, Peyo se livre à une virulente critique des dérives de la démocratie.

Sorti en mars 2018, "Les Schtroumpfs et le dragon du lac" est le dernier album en date des Schtroumpfs. Il plonge le lecteur dans un univers médiéval dans lequel le Grand Schtroumpf et ses acolytes doivent aider un dragon à secourir un baron pris au piège dans son château-fort. Il se passe loin du village et fait intervenir de nombreux humains.

Une planche de "Les Schtroumpfs et le dragon du lac". [© EDITIONS DU LOMBARD (Dargaud-Lombard s.a.), 2018]
Une planche de "Les Schtroumpfs et le dragon du lac". [© EDITIONS DU LOMBARD (Dargaud-Lombard s.a.), 2018]

Chapitre 6
Produits dérischtroumpfs et festivités d'anniverschtroumpf

Peyo, 2018 – Licensed through I.M.P.S. (Brussels)

Le succès des Schtroumpfs ne s'est jamais démenti avec les années. Ce sont ainsi 35 millions de livres des Schtroumpfs qui ont été vendus dans le monde depuis 60 ans.

Leurs aventures sont traduites en plus de 50 langues et leur nom change de l'une à l'autre, par exemple Smurfs en anglais, Schlümpfe en allemand, Pitufos en espagnol, Puffi en italien, Hupikek törpikek en hongrois, Smurfy en russe ou Samafu en japonais.

Tout autant que par les BD, les enfants et les plus grands enfants ont appris à connaître le Schtroumpf Grognon et la salsepareille via une série TV qui a fait un tabac dans les années 80 et 90 surtout, mais qui séduit encore aujourd'hui. Produite par Hanna-Barbera et diffusée en premier sur NBC aux Etats-Unis, la série a ensuite débarqué en Europe et sa popularité a suivi celle des années Dorothée à la TV. Ce sont au final 9 saisons des Schtroumpfs développant les intrigues des BD mais aussi beaucoup d'autres qui ont été diffusées et il faudrait un total de 15 jours pour regarder les 272 épisodes.

Loin de s'arrêter là, la machine Schtroumpf a ensuite sorti plusieurs films, trois consacrés aux lutins bleus ("Les Schtroumpfs", "Les Schtroumpfs 2" et "Les Schtroumpfs et le village perdu") et un à l'autre héros de Peyo Benoît Brisefer. Ces films familiaux en animation 3D ont aussi rencontré leur public au cinéma. Et la chaîne YouTube dédiée aux Schtroumpfs qui a été lancée en 2015 complète cette offre audio-visuelle.

DVD, CD, peluches, jeux de société, applications pour smartphones, coloriages, bonbons, vaisselle ou crayons, les produits dérivés se vendent aussi à merveille. A commencer par les figurines dont il existe des milliers d'exemplaires différents, collectionnés par certains. Ce sont au total 100 millions de figurines qui ont déjà été vendues.

Avec encore un spectacle musical, des expositions, un espace au Centre belge de la BD, quatre parcs à thème (Anvers, Moscou, Dubaï et Perak, en Malaisie), les Schtroumpfs sont partout.

L'avion inauguré par Brussels Airlines pour les 60 ans des Schtroumpfs. [Belga/afp - Juan Godbille]
L'avion inauguré par Brussels Airlines pour les 60 ans des Schtroumpfs. [Belga/afp - Juan Godbille]

Et des festivités sont prévues durant toute l'année 2018 pour schtroumpfer comme il se doit ces 60 bougies. Un avion à l'effigie des petits êtres bleus, l'avion schtroumpf, a ainsi été affrété par Brussels Airlines. Une fresque géante a été inaugurée au printemps au centre de Bruxelles. Une exposition a pris place à Beaubourg à Paris et une exposition immersive permettant notamment de se balader dans le village Schtroumpf a ouvert à Bruxelles.

La vague bleue n'est ainsi définitivement pas près de s'éteindre et comme aime à le répéter le Grand Schtroumpf: "Tout est schtroumpf qui finit schtroumpf!"