Au premier abord, la rentrée 2018 ne diffère pas tant des précédentes, puisqu’on y retrouve comme tendance de fond un questionnement littéraire très hexagonal sur les croisements possibles entre réalité et fiction.
Ainsi, la cheffe de l’autofiction, Christine Angot ("Un Tournant de la vie") s’interroge jusqu'à l'obsession sur la vérité et le mensonge dans sa vie. Le Suisse Matthieu Mègevand ("La Bonne vie") s’intéresse au poète français Roger Gilbert-Lecomte, et Adrien Bosc ("Capitaine") a choisi de parler d’un bateau qui a quitté Marseille en 1941 avec à son bord des opposants au régime de Vichy.
Autre star, Maylis de Kerangal, ("Un Monde à portée de main"), qui après le succès de "Réparer les vivants" applique la même méthode - plonger dans un monde professionnel- pour nous faire découvrir l'univers des peintres en décor.
Et bien sûr, fidèle au rendez-vous, Amélie Nothomb avec "Les prénoms épicènes" qui explore la relation père-fille.
Sortir du biopic traditionnel
A côté de ces travaux, pas forcément novateurs, d'autres auteurs font preuve d’une vraie inventivité pour sortir des biopics classiques. Ainsi Christophe Boltanski ("Le Guetteur") mène l’enquête sur la vie de sa mère dans une sorte de polar passionnant et nous emmène dans le quotidien d’étudiants parisiens qui ont soutenu l’indépendance de l’Algérie.
De son côté, Vanessa Schneider ("Tu t'appelais Maria Schneider") rend hommage à sa cousine aujourd’hui disparue, comédienne qui, à 19 ans, fit scandale à cause d'une scène de viol dans "Le dernier Tango à Paris". L’autrice a choisi de s’adresser directement à elle pour reconstituer sa vie, et la France d’alors, à partir de souvenirs et d’articles de journaux. Leurs deux livres sont politiquement engagés, fait remarquable dans une littérature qu’on a souvent accusée de se regarder le nombril.
Se tourner vers le monde
D’autres auteurs se tournent ainsi vers le monde, telle Agnès Desarthe ("La Chance de leur vie") qui installe ses héros aux Etats Unis, alors que des attentats sont commis en France et que Trump est élu.
Plusieurs bonnes surprises arrivent de l’ailleurs francophone. Quelques grands noms sont présents: Lyonel Trouillot ("Ne m'appelle pas capitaine") imagine avec le talent poétique qu’on lui connaît la rencontre d’un vieil opposant politique et d’une jeune journaliste. Alain Mabanckou ("Les Cigognes sont immortelles") revient dans la langue métissée qu’il a construite sur la décolonisation du Congo, durant son enfance.
A noter le très beau roman d’un inconnu, David Diop, ("Frère d'âme"), qui donne voix à un tirailleur sénégalais durant la guerre de 14.
La saveur des premiers romans
Parmi les 94 primo-romanciers de cette rentrée, deux attirent l’attention: Meryem Alaoui ("La Vérité sort de la bouche du cheval") qui nous fait partager dans un roman à la fois émouvant et truculent le quotidien d’une prostituée à Casablanca. Et Estelle-Sarah Bulle, ("Là où les chiens aboient par la queue") qui nous entraîne dans la Guadeloupe de ses origines.
Une belle moisson anglo-saxonne
Enfin, il ne faut pas oublier la rentrée étrangère, très anglo-saxonne, marquée par la présence d’auteurs importants, voire classiques: Zadie Smith, J.M. Coetzee, Salman Rushdie, ainsi qu’un superbe roman ("33 tours") du Canadien anglophone David Chariandy, qui nous raconte une très belle histoire de grand frère disparu dans le milieu de la communauté caribéenne de la banlieue de Toronto.
Sylvie Tanette/mcm