Les livres ont parfois un pouvoir de résurrection. C'est le cas de "La bonne vie" du Genevois Matthieu Mégevand, 35 ans, qui raconte le destin fulgurant de l'écrivain Roger Gilbert-Lecomte, mort à 36 ans, épuisé par les drogues et brûlé par sa quête de l'Absolu.
Né à Reims, Gilbert-Lecomte forme avec trois autres lycéens, Robert Meyrat, Roger Vailland et René Daumal, une fratrie baptisée "Les Phrères simplistes": "Comme les petits enfants, simples et ignorants, nous possédons la vrai connaissance".
Unis par leur passion de Rimbaud, le petit groupe sera à l'origine de la revue "Le Grand Jeu", qui n'a connu que quatre livraisons mais qui a durablement influencé la littérature du XXe siècle.
En hommage à Daniel Darc
Edité chez Flammarion, "La bonne vie" est le premier roman d'une trilogie consacrée à la création artistique et à la destruction intime. Toulouse-Lautrec fera l'objet du deuxième tome tandis que le troisième sera consacré à un ou une musicienne, dont le nom n'est pas encore connu.
"Au départ, je pensais écrire sur Daniel Darc, le chanteur de "Taxi Girl", mort en 2013. Je l'avais rencontré lors d'un entretien pour "Le Monde des Religions". Mais cela ne fonctionnait pas pour le livre. C'est lui en revanche qui m'a fait découvrir Roger Gilbert-Lecomte, et c'est pour cela que je lui ai dédié mon roman", explique Matthieu Mégevand, également directeur des éditions Labor et Fides.
>>> A écouter, Daniel Darc qui chante le tube de Taxi Girl, "Cherchez le garçon":
"La bonne vie" est une exofiction, c'est-à-dire un roman à caractère biographique. "J'ai fait un gros travail de recherche et de documentation mais j'ai aussi inventé des scènes, toujours dans un souci de vraisemblance. Ce n'est pas une biographie classique, c'est mon Roger Gilbert-Lecomte", précise l'auteur qui admet, par exemple, avoir beaucoup accentué le conflit entre Lecomte et André Breton, chef des surréalistes. Le premier reprochant au second d'avoir abandonné son idéal au profit d'une rente de situation.
Une mystique sans Dieu
Car il n'est question que d'Idéal et d'Absolu chez Gilbert-Lecomte, poète né peu avant la première guerre et mort au coeur de la seconde, enfant de ce début de siècle marqué par la destruction. Un absolu qui commence par l'apparence. Très jeune, il se compose une allure de dandy, inspiré du personnage de Jean des Esseintes, le héros de "A Rebours" de Huysmans.
Plus tard, monté à Paris, il fera l'expérience des drogues pour augmenter sa lucidité. Il ira jusqu'à l'absortion du tétrachlorométhane, utilisé dans les insecticides, pour modifier ses états de conscience afin de pouvoir atteindre son point d'incandescence. "Ce moment mystérieux où la sève artistique a suffisamment chauffé pour que la création émerge. Chez Gilbert-Lecomte, le point d'incandescence était très élevé: sa sève devait le brûler", explique Matthieu Mégevand, qui en est à son quatrième livre.
Et l'écriture dans tout ça?
La littérature n'était pas une fin en soi. Il avait horreur de l'art pour l'art, détestait l'ornemental, le divertissement, et tout ce qui faisait beau.
Au même titre que l'opium, l'alcool ou la roulette russe, la littérature était le medium extrême pour parvenir à l'au-delà de la vie, une sorte de mystique sans Dieu, de "vie éternelle par refus de vouloir durer". Gilbert-Lecomte avait fait sienne cette phrase de Rimbaud: "Nous ne sommes pas au monde".
Il l'a quitté jeune, telle une étoile filante, laissant derrière lui une correspondance en trois tomes, plusieurs articles publiés dans "Le Grand jeu" et une oeuvre poétique importante, dont "La bonne vie", le poème qui a donné son titre au roman de Matthieu Mégevand.
Propos recueillis par Jean-Marie Félix / adaptation web Marie-Claude Martin
Matthieu Mégevand, "La bonne vie", éditions Flammarion, 2018