La narratrice des "Billes du Pachinko" - deuxième roman de l'auteure Elisa Shua Dusapin - se prénomme Claire, elle a tout juste trente ans. De père suisse et de mère coréenne, elle se rend au Japon chez ses grands-parents pour tenter de les convaincre de retourner quelques jours dans leur pays d’origine qu’ils ont quitté 50 ans plus tôt, pendant la guerre de Corée.
Entre temps, le temps de les convaincre, la jeune femme enseigne le français à Mieko, une gamine que sa mère rêve d’envoyer en Suisse. Fascination partagée par bien des Japonais qui se précipitent au village de Heidi, non loin de Tokyo.
Ce n’est pas ma faute, je pense, si je ne raconte rien. Si j’oublie le coréen. Ce n’est pas ma faute si je parle français. C’est pour vous que j’ai appris le japonais. C’est les langues des pays dans lesquels on vit.
Dans ce roman, personne ou presque ne parle sa langue maternelle. Les grands-parents refusent de parler le japonais et Claire baragouine avec eux un mélange d’anglais, de japonais et de coréen.
Autant dire que la communication est difficile et que l’incompréhension mutuelle se voit renforcée par le fossé des cultures et des générations. De toute façon, les personnages qui naissent sous la plume d’Elisa Shua Dusapin sont, et c’était déjà le cas dans son premier roman, en perpétuel décalage.
Une page d’histoire
Tout se passe à Tokyo, mais de la ville nous découvrons surtout les quartiers coréens qui abritent des dizaines de milliers de Pachinko - le grand-père est propriétaire d’un établissement éponyme - sorte de flipper vertical inventé par la diaspora coréenne à son arrivée au Japon. Qu’y gagne-t-on? Quelques objets dérisoires – les jeux d’argent sont interdits en pays nippon - qui seront plus tard échangés ou vendus.
Les Coréens sont mal vus au Japon, la page de l’histoire n’est pas encore tournée et l’auteure nous le laisse entendre sans s’étendre. Son écriture est simple, épurée, chaque mot compte et les silences font écho au doute existentiel.
"Je n’ai pas un rapport très intellectuel avec mes livres", souligne Elisa Shua Dusapin dans un entretien à la RTS. "Je me laisse porter par ce que j’ai à l’intérieur sans essayer de forcer quoi que ce soit". Et d’ajouter qu’écrire ce deuxième roman ne fut pas simple et qu’il fallut d’abord s’extraire du tourbillon qui suivit la parution de "Hiver à Sochko", joli succès en librairie et notamment prix Walser.
Un morceau de beignet est resté coincé entre mes dents. Je fais tourner ma langue pour tenter de le dégager. Pour finir, il se dissout, mais j’ai la langue en sang
Reprise des thèmes de son premier roman
Elisa Shua Dusapin reprend les thèmes qui traversaient déjà son premier roman, la complexité des êtres, les glissements entre les langues et les cultures, la relation mère-fille sans oublier la nourriture. Mais cette fois, point de bonnes odeurs. Ici la nourriture coince, elle est rejetée ou régurgitée, rappelle de mauvais souvenirs ou colle au palais.
A propos de souvenirs, pas sûr que les grands-parents s’embarquent dans ce voyage de retour souhaité par leur petite-fille. D’ailleurs leur pays, la Corée unifiée, n’existe tout simplement plus.
Anik Schuin/aq
"Les Billes du Pachinko", Elisa Shua Dusapin, Edition Zoé, 2018.