Quand on lui demande pourquoi elle a choisi de se faire éditer chez José Corti, Claire Genoux confie humblement: "J’avais envie de savoir si mon écriture pouvait intéresser au-delà de nos frontières. C’est aussi pour moi une manière de progresser".
José Corti, une maison parisienne qui a toujours privilégié une littérature originale et exigeante. En témoigne sa devise arborée sur chaque couverture de livre: "Rien de commun".
Une écriture à la croisée des genres
Cette devise correspond bien aux textes de Claire Genoux. Tous se situent à la croisée des genres: poésie versifiée, nouvelles, proses poétiques, romans. Quelle que soit la forme choisie, on y retrouve un souffle, une manière d’écouter le monde avec la distance propre au poète.
Depuis son premier recueil de poèmes, l’auteure donne vie à des personnages à la lisière d’eux-mêmes, des personnages intimement fêlés qui ont du mal à se situer par rapport aux autres et au monde qui les entoure. C’est à nouveau le cas de Lynx.
Son vrai monde, c’est la forêt. Seuls les arbres lui sont une famille. Avec ce qu’ils contiennent de vent broyé, d’épaisseurs, de solitude blanche. Le mur sombre et lourd des troncs commence devant la grange, se poursuit jusqu’au fleuve.
Une rencontre en quête de mots
Lynx vit dans une grange, entouré d’une vaste forêt qui a englouti son père. En contrebas, un fleuve aux allures menaçantes. Pendant un été caniculaire, le jeune homme taiseux est intrigué par Lilia, jeune femme venue aider à la buvette voisine.
Celle-ci connaît l’usage des mots qu’elle recueille chaque jour dans un carnet. Elle saura trouver les termes justes et les agencer pour reconstituer l’enfance meurtrie de Lynx passée entre un père autoritaire et une mère fragile.
"Lynx n’a pas les mots parce qu’on ne les lui a pas appris. Il est sauvage, capable de violence, mais il possède une grande sensibilité, raconte Claire Genoux. Lilia ne parle pas beaucoup non plus, mais elle écrit. Donc cette rencontre se passe de mots". Et pourtant, ce sont les mots recueillis par Lilia qui permettront à Lynx de renouer avec sa douloureuse histoire familiale.
Lynx ne sait pas comment on capte les histoires, comment on s’y prend avec la viande des mots ou comment on coupe à l’intérieur pour faire des poèmes. Comment ça fusionne, comment c’est rassemblé après dans le livre.
A travers le regard intrigué de Lynx face au mystère de l’écriture, Claire Genoux interroge son propre travail d’écrivaine. Un questionnement intime qui apparaissait déjà dans ses livres précédents.
Frapper aux mots comme on frappe aux troncs
Mais avec "Lynx", surgit cette superposition d’images entre le travail de l’écrivain et celui du bûcheron: "Il peut imaginer que quelque chose doit être accompli, qu’il faut frapper aux mots comme lui, Lynx, frappe aux troncs et qu’il faut venir tout près pour sentir dessous ce qui se passe."
Frapper aux mots comme on frappe aux troncs… comparaison saisissante que la poétesse fait sienne, elle qui considère l’écriture comme un engagement du corps, comme un effort quotidien pour dégager la page de ses ombres et composer une clairière de sens.
"Lynx", un roman envoûtant servi par une langue rugueuse et sensuelle. Une belle surprise de cette rentrée littéraire.
Jean-Marie Félix/aq
Claire Genoux, "Lynx", Ed. José Corti