Poète, romancier et voyageur, homme des écritures numériques et de l’engagement vrai, Philippe Rahmy était aussi un homme généreux dont la plume avait séduit de nombreuses lectrices et lecteurs, ainsi que ses amis qui écrivaient.
Bien qu'atteint de la maladie des os de verre depuis toujours, Philippe Rahmy parcourait le monde au départ de la Suisse. La planète était devenue un sujet d'écriture, un paysage humain à traverser, une occasion de rencontres multiples. Toujours dans une tentative de comprendre et de faire comprendre qui ne semblait pas avoir de limites.
Récit d'une société sans pitié
Hélas, alors qu'il était en résidence d'écriture à la Fondation Michalski à Montricher (VD), et qu'il terminait son dernier livre, Philippe Rahmy s'en est allé soudainement le 1er octobre 2017. Une année après sa disparition, grâce aux soins éditoriaux de Françoise de Maulde et de Tanja Rahmy qui ont dû terminer l'agencement du puzzle-manuscrit et faire quelques choix, parait "Pardon pour l'Amérique" (La Table Ronde, 2018), un grand récit-enquête dans la mythique et douloureuse Amérique de Donald Trump, que Philippe Rahmy avait sillonné.
Pendant de longs mois, Philippe Rahmy était allé jusqu'en Floride à la rencontre des marginaux victimes d'une société sans pitié. Telles les cueilleuses et cueilleurs de tomates dont la vie n'est pas loin de l'esclavage. Ou ces femmes et hommes innocents, emprisonnés pendant des décennies, jusqu'au jour où la justice américaine reconnaît enfin son erreur ; parfois trop tard pour réparer une vie gâchée. Un récit magistral et poétique qui commence par une ouverture époustouflante.
Journal, autoportrait et enquête
Dans "Pardon pour l'Amérique", Philippe Rahmy rassemble toutes les écritures et s'autorise, outre les formes du journal, de l'autoportrait dans le regard des autres, et de l'enquête littéraire, un lyrisme réunissant le meilleur de sa poésie et de son métier de romancier. En cela, on serait vite tenté de dire que "Pardon pour l'Amérique" est le meilleur livre de Philippe Rahmy, le plus abouti.
Mais c'est l'œuvre qu'il faut désormais considérer et apprécier dans son ensemble. C'est le chemin vers ce huitième et dernier livre qu'il faut reprendre depuis "Mouvement par la fin", le premier recueil poétique où Philippe Rahmy écrivait le corps blessé, cassé, risquant toujours un accident, mille réparations et des péripéties hospitalières sur lesquels il ne s'étendait pas sinon dans la distance d'un éclat de rire tonitruant, inoubliable.
L'attention portée aux plus démunis
Il faut lire "Pardon pour l'Amérique" pour le regard et le travail de l'écrivain de terrain que Philippe Rahmy désirait être pour ce livre, allant à la rencontre de ses interlocuteurs dans un fauteuil roulant qui instaurait un autre rapport, un autre niveau de parole. On ne pouvait pas l'accuser de voyeurisme ni de pitié.
Ainsi, son dernier livre est le résultat d'une attention fine à la chose politique, aux violences du libéralisme et d'une grande attention aussi à la parole des plus démunis et des personnes injustement délaissées, abandonnées sur les bas-côtés d'une société qui ne se retourne pas.
Philippe Rahmy, lui se retournait, ses amis et ses lecteurs s'en souviendront longtemps.
David Collin/ld
"Pardon pour l'Amérique", Philippe Rahmy, Editions La Table Ronde