Candice est coursière à Londres pour gagner sa vie pendant qu'elle poursuit des études de théâtre. Nous sommes en 1978-79 et la situation économique et sociale de l’Angleterre tourne à la catastrophe. Situation qui précipite la descente aux enfers du parti travailliste et propulse sur le devant de la scène une certaine Dame de fer qui aura ces mots glaçants cités par l’auteur: "Fini de rêver".
Un rythme saisissant
Une des premières trouvailles de Thomas B.Reverdy est d’avoir juché son héroïne sur une bicyclette, nous offrant ainsi un panorama à petit trot d’une capitale en faillite, parsemée de détritus et menacée par le chômage de masse. "Quand je lance Candice sur son vélo", raconte le romancier au micro de la RTS, "j'ai l’impression de n’avoir plus qu'à la suivre. Je suis derrière elle, porté par sa vitesse, par son énergie et par sa jeunesse et tout le roman, finalement, je le passe à essayer de tenir le rythme de mon personnage." Pari gagné, le coup de pédale de Candice nous emporte au cœur d’une ville et d’une société qui basculent dans la mondialisation. C’est "l'hiver du mécontentement", titre alors le quotidien The Sun. La jeunesse, elle, décide de s’amuser.
"La musique, c’est son silence à elle"
"Les voisins tapent sur le mur mais Candice les emmerde. Elle monte le son. La musique, c’est son silence à elle. Et c’est un des seuls trucs qu'elle peut se permettre, avec son vélo et les fringues qu'elle arrange elle-même: la musique, et les stars qu'elle fabrique. Des gens comme elle qui la comprennent et qui parlent des emmerdements de tous les jours, des prix des loyers et de la solitude. (...) Des petites gens que la musique a rendus immenses et arrogants et que les bourgeois sont bien obligés d’écouter."
Extrait de "L'hiver du mécontentement", Thomas B.Reverdy, Flammarion, 2018
Des destins dans des vies ordinaires
L'autre trouvaille de Thomas B.Reverdy est la bande son du roman. "Elle a été pour moi un moyen de vivre dans cette époque", relève l’auteur né en 1974. La playlist est longue et chaque chapitre met en exergue des titres et des noms qui nous sont encore familiers: Sex Pistols, Pink Floyd, Marianne Faithfull... "Le "working class hero" c’est ce qu'invente la pop culture. Et je crois vraiment que c’est notre boulot de romancier de s'intéresser à ces gens qu'on dit ordinaires et de traquer les émotions quotidiennes".
Entre Richard III et Thatcher
De trouvaille en trouvaille, Thomas Reverdy va plus loin encore avec la figure de Richard III dont la première tirade commence ainsi: "Voici venir l'hiver de notre mécontentement". Candice, qui fait partie d’une compagnie exclusivement féminine, a endossé les habits du roi difforme et sanglant. L’occasion pour elle de s'interroger et l'auteur de commenter.
Le Richard III de Shakespeare contient tout. A la fois la violence et la cruauté du pouvoir, la relation entre les sexes et entre les générations, et en même temps la provocation et la dérision, le rire cynique des punks.
La boucle est bouclée. Avec talent, Reverdy tisse le 15e siècle et les années Thatcher, la déraison de Richard et la folie punk. Et tout cela résonne dans notre monde d’aujourd'hui...
Anik Schuin/la