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"La vraie vie", le roman-phénomène de la rentrée littéraire

Couverture du livre "La Vraie vie", écrit par Adeline Dieudonné. [Editions de l'Iconoclaste - DR]
Adeline Dieudonné: "La Vraie Vie" / Versus-lire / 32 min. / le 4 octobre 2018
Elle est Belge et c'est son premier roman. Adeline Dieudonné offre avec ce récit un conte terrifiant et puissant sur la violence domestique et la soif d'apprendre.

A 36 ans, la Belge Adeline Dieudonné chamboule la rentrée littéraire avec son primo-roman, "La vraie vie" qui a déjà reçu le prix FNAC 2018 et figure sur la liste du Renaudot.

"La vraie vie", un titre passe-partout pour un roman qui, lui, ne l'est pas du tout. D'abord parce que la narratrice est une fillette de 10 ans, ensuite parce que l'auteure emprunte toutes les figures du conte, de l'ogre à la sorcière, de la forêt sans lune au grand méchant loup pour raconter une histoire de la violence qui hantera durablement le lecteur.

Une famille sans pitié

Dans la famille sans nom, il y a le père, un chasseur impitoyable, aux mains d'équarrisseur. La mère, terrorisée par les colères de son mari, qui se réfugie dans un amour mièvre des animaux. Le petit frère de six ans, adorable jusqu'à ce qu'un événement traumatisant le transforme en rôdeur inquiétant. Enfin, au coeur du récit, la narratrice, dix ans, qui rêve de réaliser une machine à remonter le temps pour effacer l'accident qui a fait de son frère un étranger.

Devenir Marie Curie

La petite fille n'a pas de prénom mais une ambition, devenir la nouvelle Marie Curie - elle est surdouée en physique quantique - pour échapper à sa famille et à cette banlieue moche, baptisée Démo. Mais pour l'heure, elle cache à sa famille, et surtout à son père, qu'elle suit régulièrement les cours d'un professeur de physique qui croit en elle. S'il le savait, il la frapperait de se croire supérieure et de vouloir ainsi s'affranchir de sa condition de femelle. Car pour le père, les femmes ne sont que des proies. La mère le sait bien qui, vivant dans l'appréhension de la prochaine crise, a perdu toute forme d'intelligence et de courage. Sa fille l'a d'ailleurs cruellement surnommée "l'amibe".

>>> A écouter l'interview d'Adeline Dieudonné dans Versus-lire:

Couverture du livre "La Vraie vie", écrit par Adeline Dieudonné. [Editions de l'Iconoclaste - DR]Editions de l'Iconoclaste - DR
Adeline Dieudonné: "La Vraie Vie" / Versus-lire / 32 min. / le 4 octobre 2018

Le roman se déroule sur six étés, faisant passer la narratrice de l'enfance à l'adolescence, "du statut de petite chose insignifiante, à celui de petite chose répugnante" comme le perçoit la narratrice dans le regard de son père.

"Je voulais éviter les périodes de scolarité, rester centrée sur la famille et respecter l'unité de lieu pour maintenir la tension. Le lecteur ne peut pas échapper à cette banlieue et la seule fois où il en sort, c'est pour aller en forêt. Et c'est encore pire!", s'amuse Adeline Dieudonné, grande admiratrice de Stephen King.

Caustique et tendre

D'une écriture vive et caustique, jamais dénuée d'humour, Adeline Dieudonné raconte comment la violence naît dans les corps. Comment elle se transmet, se répète, s'enlise jusqu'à l'épuisement des victimes autant que des bourreaux. Elle raconte aussi la soif d'apprendre d'une petite fille dégourdie promise à un avenir brillant si elle n'est pas tuée avant; la discrimination des sexes qui autorise et justifie les abus et la radicalité de l'enfance qui a toutes les imaginations mais aucun sens de la nuance. D'où la cruauté et l'intransigeance de la narratrice de 10 ans qui, au fil des saisons, admet la complexité du monde et pardonne certaines lâchetés d'adultes.

Peur comme quand on était enfant

Cela pourrait être trop noir pour être honnête ou trop dramatique pour être crédible, mais rien de tel grâce à un style qui s'adresse autant au cerveau du lecteur qu'à son corps. Comme dans les contes, on a peur de cette forêt qui écorche, peur du grand méchant loup incarné ici par une hyène empaillée, peur des colères du père qui pleure en écoutant Claude François, peur du petit frère qui ne se ressemble plus, et même de la mère qui a des réactions disproportionnées quand il arrive malheur à l'une de ses chèvres.

Le roman d'Adeline Dieudonné est aussi haletant qu'un roman policier, aussi doux que le ventre d'un chiot et aussi beau que l'intelligence d'une petite fille qui a décidé qu'elle sera Marie Curie quand elle sera grande.

Propos recueillis par Marlène Métrailler. Réalisation web Marie-Claude Martin

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