Le dixième roman de Laurent Gaudé "Salina, les trois exils" (Ed. Actes sud) commence comme une tragédie grecque: un nourrisson est déposé en plein désert par un mystérieux cavalier. Les villageois, perplexes, décident de laisser faire les choses, espérant secrètement qu'écrasé par la chaleur ou dévoré par les hyènes, le bébé ne survivra pas.
Une femme pourtant va à l'encontre de la communauté: elle décide de nommer la fillette et de l'allaiter. Plus tard, l'adolescente sera contrainte d'épouser Saro qui la brutalise et l'humilie. Elle pense pouvoir accéder à une vie meilleure lorsque son mari meurt. Elle se trompe....
La vie des morts
Portée par la haine, Salina n'a qu'une idée en tête, la vengeance. "Salina a d'abord été un texte pour le théatre. La pièce a vécu sa vie mais le personnage continuait de me trotter dans la tête. J'ai voulu le reprendre et lui ouvrir un champ plus vaste, de temps et d'espace, celui du roman", dit Laurent Gaudé au micro de la RTS.
Le roman offre aussi un tombeau à son héroïne puisque c'est son troisième fils qui racontera l'histoire de sa mère afin de pouvoir lui offrir un lieu de sépulture décent. On reconnaît là un motif dans l'oeuvre de Laurent Gaudé, la présence des morts, qui parlent et écoutent les vivants, les animent, les conseillent et les guident.
Sujet encore brûlant d'actualité
Si l'intrigue n'est pas située, ni dans le temps, ni dans l'espace, Laurent Gaudé, passionné d'épopée, dit avoir pensé à toutes ces femmes d'aujourd'hui, mariées de force, à qui on vole leurs vies.
Livre sur la vengeance, l'identité et la transmission, "Salina, les trois exils" ne fait pas le portrait d'une victime qui mériterait toute notre pitié et compassion mais celui d'une femme qui répond à la violence par la violence, quitte à devenir monstrueuse.
Salina est du côté du sang et il en va de ma loyauté d'écrivain de l'accompagner jusqu'au bout de sa logique.
Autre thème récurrent chez Laurent Gaudé: comment sortir de la spirale de la vengeance? Une troisième femme, qui se range pourtant du côté des vainqueurs, y répond: elle accepte de perdre quelque chose de précieux - qu'on ne révélera pas - pour que se termine le cycle de la haine.
"Le roman dit toujours vrai"
En 2004, Laurent Gaudé recevait le Prix Goncourt pour "Le Soleil des Scorta", l'épopée d'une famille du sud de l'Italie où l'odeur des tomates séchées le dispute au parfum de la terre qui a soif.
L'année suivante, l'auteur publiait "Eldorado", l'histoire poignante de clandestins voulant rejoindre Lampedusa, au prix de leur vie. Récemment, Laurent Gaudé signait une tribune dans "Le Monde", estimant que le silence de l'Europe sur le blocage du bateau humanitaire, l'Aquarius, était "une défaite profonde face aux populismes".
>>> A écouter, le reportage fait dans les classes genevoises étudiant le livre "Eldorado" de Laurent Gaudé:
"Eldorado", étudié dans les écoles genevoises, a contribué à rendre sensible et intelligible la question des migrants.
A un article, aussi précis et documenté soit-il, il manquera toujours deux éléments: le monde des sensations et celui de l'intériorité de ceux qui vivent de telles expériences.
Les élèves, eux, avaient trouvé une autre formule: "On ne peut pas s'attacher à une photo ou à un article, mais on s'attache à des personnages: le roman dit vrai".
Propos recueillis par Christine Gonzalez
Réalisation web: Marie-Claude Martin
Laurent Gaudé, "Salina, les trois exils", éditions Actes sud, 2018