Le 7 janvier 2015, le journaliste Philippe Lançon est très gravement blessé au cours de l'attentat contre "Charlie Hebdo", attentat qui a fait douze morts, dont huit membres de la rédaction. Le bas du visage arraché, Philippe Lançon est hospitalisé pendant des mois et subira plus d'une vingtaine d'opérations pour reconstruire sa mâchoire.
Un livre trois ans plus tard
Trois ans plus tard, en janvier 2018, le survivant publie "Le Lambeau", livre unique, qui raconte les heures qui ont précédé l'attentat, puis l'attentat lui-même, et comment ce drame, et les séjours hospitaliers qui ont suivi, ont modifié sa vie et celle des autres autour de lui.
Il ne s'agit pas d'un journal de bord mais bien d'une construction littéraire qui s'accomplit parallèlement à une reconstruction physique et mentale. Philippe Lançon y décrit ses sentiments, ses sensations, sa mémoire, son corps et sa perception du corps, son rapport à la musique, à la peinture, sa manière de respirer et d’écrire.
Le livre restitue au plus près ce que j'ai vécu au moment où je l'ai vécu.
L'art comme sentinelle
Dans cet enfer de douleur et de chagrin, Lançon trouve auprès de peintres, écrivains, et musiciens qu'il aime de quoi revenir à la vie: Proust qu'il lit depuis l'âge de 14 ans, Velasquez, qu'il vénère, et Bach, "le musicien qui entretient un merveilleux rapport avec le silence, dont j'avais tant besoin". Au micro de la RTS, Philippe Lançon, grand lecteur explorateur, dit qu'il a vécu en interdépendance avec l'écriture, qu'elle lui a été aussi nécessaire qu'une perfusion.
Houellebecq au début et à la fin
Ces textes, ces cantates, ces portraits peints n'ont rien de conceptuels. "Ils étaient concrets, aussi concrets qu'une tasse de café. C'étaient des présences qui m'ont aidé à vivre, à comprendre, à sentir, à me fortifier et à m'éclairer.
Rien à voir avec ces livres qui vous disent comment vous reconstruire, gagner en bien-être ou retrouver la forme. Ces livres-là, je les déteste, ils me dépriment.
Un écrivain ouvre et ferme "Le Lambeau", Michel Houellebecq, dont le roman "Soumission" paraissait le jour de l'attentat contre Charlie et que Philippe Lançon devait interviewer le lendemain. Des années plus tard, les deux hommes se retrouvent. Toujours aussi mélancolique, pessimiste et doux, Houellebecq dira à Lançon: "Ce sont toujours les violents qui l'emportent". C'est pourquoi, selon Philippe Lançon, "on écrit pour faire acte d'humanité."
A partir du 7 janvier, tous les mondes dans lesquels j'avais vécu, toutes les personnes que j'avais aimées se mirent à cohabiter en moi sans préséance ni bienséance, avec une intensité folle, proportionnelle à la sensation qui dominait: j'allais les perdre, je les avais déjà perdus.
Propos recueillis par Laurence Desbordes/ Réalisation web Marie-Claude Martin/mcc
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