Macron, Trump, Poutine, Merkel. Paris, le 11 novembre dernier. Les rois de ce monde sont donc rassemblés pour les commémorations de la fin de la Guerre de 14-18. A la tribune, Macron parle des dangers du nationalisme. Trump boude en fomentant une série de tweets vengeurs. Poutine se noie dans un visage de Joconde. Merkel est recueillie.
Quel tableau. Quel théâtre. Ironie de l’histoire: deux jours plus tôt, à Bâle, le dessinateur Jacques Tardi assistait à l’ouverture d’une grande exposition qui lui est consacrée au Cartoon Museum – la caméra de l’émission "La Puce à l’oreille" l’a d’ailleurs suivi de salle en salle, avant le vernissage.
Tardi, c’est justement l’homme qui a dessiné comme personne la Guerre de 14-18 et la condition humaine rabaissée en pâtée à canon. Tardi, l’inlassable et bouleversant pourfendeur des nationalismes. Tardi, l’artiste qui n’a cessé de critiquer l’idée même de patriotisme. Hasards grinçants du calendrier.
Jacques Tardi est l’un des plus grands auteurs de bande dessinée. Des plus infatigables. De lui, on connaît surtout son (anti-) héroïne Adèle Blanc-Sec, détective boudeuse et mal lunée dont les aventures ont été mise en images édulcorées par le cinéaste Luc Besson.
Qu’on se garde bien d’oublier le Tardi qui a dessiné inlassablement les tranchées de 14-18, la mort qui plane, les yeux dilatés par la peur, la vinasse, le cri d’agonie d’une génération sacrifiée, les gradés qui sacrifient leurs troupes, l’ennemi qu’on abat à bout portant et qui aurait pu être un frère, la chiasse, le camarade dont le visage d’enfant pourrit déjà dans la boue maculée de neige, le crayon qu’on mouille de la langue pour écrire à la famille, les manques, l’adieu.
C’est ce Tardi qu’on peut redécouvrir à Bâle – à côté du Tardi illustrateur de Céline, du Tardi dessinateur de presse, du Tardi tisseur d’histoires à suspense, du créateur prolifique et protéiforme, de l’insoumis obsessionnel. Devoir de mémoire? "Devoir d’avenir", a un jour rétorqué Tardi.