Radu Lupu, pianiste hors du commun, est décédé

Grand Format

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Introduction

Agé de 76 ans, le célèbre pianiste d’origine roumaine Radu Lupu est décédé dimanche à Lausanne des suites d'une longue maladie. Humble et discret, il était considéré comme l'un des plus grands pianistes de sa génération.

Chapitre 1
Un jeu unique

Le pianiste Radu Lupu faisait partie de ces musiciens dont chaque concert ou récital était une fête, mais une fête quelque peu mystérieuse. Car le pianiste roumain vivait plus que jamais dans son monde, comme un sage qui n'avait plus rien à prouver, mais qui avait tant de choses à dire et à raconter.

"Sous ses doigts, le piano ne joue pas, il vit… sans la moindre volonté d'interpréter", pouvait-on lire sous la plume d'un critique.

Radu Lupu était sans conteste l'un des plus grands pianistes de sa génération. Un véritable poète, intense et exigeant.

Radu Lupu tutoie les sphères avec son piano, matérialise le vague d'airs chers à Lamartine. Il a une barbe de gourou, le regard absent de l’ermite, l’attention du calligraphe. (...) Une sonorité lumineuse, quasi surnaturelle, une imagination sonore infinie, une main qui énonce et l’autre qui commente, une intelligence suprasensible, créatrice d’atmosphère.

Un critique musical à propos de Radu Lupu

Autant de termes dithyrambiques qui revenaient comme des leitmotivs sous la plume des critiques musicaux pour définir le jeu unique de Radu Lupu.

Un interprète inspiré qui, dans l'unique interview accordée à un journaliste, confiait ceci: "Tout le monde raconte la même histoire différemment, mais cette histoire devrait être racontée de manière irrésistible et spontanée. Si ce n'est pas le cas, elle est sans valeur".

Perfectionniste, il savait prendre ses distances par rapport au piano. Quelques heures de pratique quotidienne seulement. La réflexion et l'écoute, constituaient l'essentiel de son approche.

Chapitre 2
Un élève d'Heinrich Neuhaus

Radu Lupu est né à Galati en Roumanie le 30 novembre 1945. Il commence le piano à l'âge de six ans et donne son premier concert à douze ans avec un programme qui ne contient que des pièces de sa propre composition. Il continue ses études pendant plusieurs années à Bucarest.

En 1961, une bourse d'études lui permet d'aller se perfectionner au Conservatoire Tchaikovsky de Moscou où il travaille pendant sept ans auprès d'Heinrich Neuhaus, célèbre pédagogue qui a formé d'innombrables virtuoses, dont Emil Gilels et Sviatoslav Richter.

Durant ses années de formation dans la classe de Neuhaus, Lupu participe à des concours de piano et décrochera des premiers prix dans les trois plus importants de la scène musicale: le Van Cliburn en 1966, le Prix George Enescu en 1967 et en 1969, celui de Leeds.

Ce triple couronnement lui ouvre tout grand les portes de la scène internationale, et désormais le jeune pianiste est invité dans le monde entier.

>> A écouter, l'émission "Quai des Orfèvres": "Radu Lupu, "Der Dichter spricht" :

Le pianiste Radu Lupu en 1969. [Getty Images - Erich Auerbach]Getty Images - Erich Auerbach
Quai des orfèvres - Publié le 18 février 2019
Le pianiste et professeur Heinrich Neuhaus (1888-1964) en 1962. [Sputnik/AFP - Mikhail Ozerskiy]
Le pianiste et professeur soviétique Heinrich Neuhaus (1888-1964) en 1962. [Sputnik/AFP - Mikhail Ozerskiy]

De l'enseignement d'Heinrich Neuhaus, Radu Lupu semble avoir intégré l'esprit plus que la technique. La virtuosité russe n'intéresse pas Lupu mais Neuhaus est beaucoup plus que cela.

Il disait: "Les difficultés de l'instrument se résolvent en se basant sur la musique elle-même". Et d'encourager ses élèves à côtoyer la peinture, la littérature, les arts. On dit de Lupu qu'il est un peintre au clavier.

Chapitre 3
Ses compositeurs fétiches

AFP - Collection Roger-Viollet

Beethoven est avec Schubert l'un des compositeurs de prédilection du pianiste roumain. Son sens de la sonorité et de la respiration y font merveille. Contrairement à certains de ses illustres contemporains, Lupu ne joue pas nécessairement toute l'œuvre pour piano de tel ou tel compositeur, il préfère choisir ce qu'il a vraiment envie de jouer.

Seules exceptions à ce tableau, les concertos de Beethoven qui figurent tous à son répertoire et à sa discographie. Lupu a commencé par enregistrer le 4e concerto avec Zubin Metha en 1977. L'aventure fut une telle réussite qu'il voulut continuer sur la lancée en enregistrant deux ans plus tard tous les autres concertos. Le label Decca les a réédités en 2005 dans un coffret compilé à l'occasion du 60e anniversaire du pianiste.

>> A écouter, l'émission "Quai des Orfèvres": "Radu Lupu, aimez-vous Schubert?" :

Moulage des mains du pianiste Radu Lupu. [Fondation Pierre Gianadda, Martigny]Fondation Pierre Gianadda, Martigny
Quai des orfèvres - Publié le 19 février 2019

Chapitre 4
Un homme de concert

Depositphotos

En concert, dès son entrée sur scène, on se rendait compte que le pianiste roumain était dans son monde. Il avait, paraît-il, un trac monstrueux, mais qui s'effaçait au moment où il s'asseyait au piano. Radu Lupu demandait toujours une chaise avec un dossier au lieu de l'habituelle banquette, ce qui donnait à ses bras une liberté beaucoup plus ample.

Le pianiste roumain était un maître dans l'art de créer des atmosphères, souvent très intimes. Ses pianissimi  témoignaient d'une hypersensibilité exceptionnelle.

"Radu Lupu", écrivait Alain Lompech au lendemain d'un récital "murmure son Schubert à l'oreille du public à qui il demande une telle concentration qu'il s'en libère au premier silence venu en toussant, bougeant sur son siège grinçant, laissant tomber son programme."

Radu Lupu divaguait avec la musique, cheminait dans des dédales qu'il ne maîtrisait pas toujours, tant ses doigts le trahissaient quand, au bord de l'effacement sonore, il perdait le fil du chant. On percevait alors des fantômes de phrases portées par une harmonie qui se délitait peu à peu.

Lupu se trompait beaucoup, pas dans les passages difficiles, souvent dans les plus simples, les plus nus. Le pianiste était là sur scène et se livrait sans aucune défense, sans l'énergie qu'il aurait fallu pour vaincre.

Mais entendre le pianiste en concert était émouvant, étreignant parfois, avec des moments d'une beauté irréelle, détachés du monde.

>> A écouter, l'émission "Quai des Orfèvres": "Radu Lupu en toute intimité" :

Le pianiste Radu Lupu à Rome en 1991. [MARCELLO MENCARINI/Leemage]MARCELLO MENCARINI/Leemage
Quai des orfèvres - Publié le 20 février 2019

Chapitre 5
Un homme discret

Le pianiste Radu Lupu. [DR - Ellen Mathys]
Le pianiste Radu Lupu. [DR - Ellen Mathys]

Radu Lupu était un homme discret. Il choisissait avec soin les salles dans lesquelles il se produisait et préférait souvent jouer dans des petites villes plutôt que dans de grands centres musicaux.

Le pianiste n'avait plus donné d'interviews depuis de nombreuses années. Non par coquetterie, mais parce qu'il lui était impossible d'exprimer par les mots la vie intérieure, la nature sans cesse mouvante de la musique, cette musique qui part du silence.

En 1994, il abandonnait les studios d'enregistrement après les avoir pratiqués pendant 23 ans. Les premiers enregistrements d'un coffret de 28 CDs datent de 1971, les derniers de 1994. La présence des micros le paralysait. A ses amis, il disait "le micro me rend idiot". Aussi ses concerts et récitals n'étaient-ils jamais radiodiffusés.

Installé en Suisse, il avait mis un terme à sa carrière à l'issue de la saison 2018/2019, pour raisons de santé. Il est mort dimanche à Lausanne des suites d'une longue maladie à l'âge de 76 ans.

Le monde de la musique classique a rendu un hommage appuyé au pianiste. Le festival George Enescu a salué "une véritable légende". "Nous chérirons à jamais son incroyable capacité à transformer la musique en magie. Les mots ne suffisent pas à exprimer notre tristesse pour cette perte."

Le violoncelliste britannique Steven Isserlis, qui comptait au nombre des amis de Radu Lupu, s'est dit "dévasté". "Il était non seulement l'un des musiciens les plus grands, les plus chaleureux et les plus profonds que j'aie jamais entendus, mais aussi un homme profondément gentil, compatissant, modeste et plein d'humour", a-t-il témoigné sur le réseau social Twitter.

"Il restera un artiste sublime et unique, peut-être trop peu connu en Roumanie, un génie musical sans égal", lui a rendu hommage la soprano roumaine Angela Gheorghiu.

>> A écouter: l'émission Musique matin du 19 avril 2022 consacrée, en partie, au musicien Radu Lupu :

Logo émission "Musique matin"
Musique matin - Publié le 19 avril 2022

Je ne me fie pas aux mots, mais seulement à la musique.

Radu Lupu, pianiste roumain