Inge Ginsberg, 97 ans, survivante de la Shoah et chanteuse de death metal

Lors du concours télévisé "Die grössten Schweizer Talente" organisé par SRF en 2016, le public suisse alémanique découvrait avec étonnement Inge Ginsberg, une femme de 94 ans, leader d'un groupe de death metal. Inge and the TritoneKings ne gagnera pas ce concours, mais la vieille dame marque les esprits.

Auteur des paroles de toutes ses chansons, elle raconte qu'elle a choisi ce genre musical parce qu'elle n'arrive pas à chanter correctement, ce qui n'est pas essentiel selon elle dans le heavy metal. Dans ses textes, Inge Ginsberg ne parle pas du passé, mais aborde des thèmes d'actualité comme l'écologie, par exemple.

Un documentaire réalisé pour le New York Times

Alors qu'elle prépare une audition pour participer à l'émission "American Got Talent", un documentaire de 12 minutes réalisé pour le New York Times lui est consacré.

La réalisatrice Leah Galant voulait montrer une vieille femme qui refuse le silence dans une société dominée, selon elle, par la jeunesse. Ce documentaire, sorti une première fois en juillet 2018, a été publié à nouveau sur YouTube par le mensuel The Atlantic le 31 janvier 2019.

Les personnes âgées - et particulièrement les femmes - sont rarement au centre d'émissions de télévision ou de films. Inge Ginsberg ne devrait pas être une "grand-mère qui fait du metal" pour être considérée comme quelqu'un d'important.

Une survivante de l'Holocauste

Intitulé "Death Metal GrandMa", le documentaire dévoile une partie de l'histoire incroyable de cette femme née le 27 janvier 1922 à Vienne dans la riche famille juive Neufeld. Enfance plutôt dorée, mais une éducation stricte due à son rang social.

Cependant, au loin, l'horizon s'obscurcit déjà. La jeune Inge bascule dans le monde violent de l'antisémitisme. Nous sommes en 1938 et l'Autriche est annexée par l'Allemagne nazie. A partir de ce moment, la famille Neufeld vit un véritable enfer. Le père de Inge est envoyé dans le camp de concentration de Dachau. Par miracle, il s'en sortira.

Le reste de la famille se cache et tente de survivre dans la clandestinité. En 1942, la mère de Inge prend le risque d'échanger tous ses bijoux pour qu'un passeur la fasse entrer illégalement en Suisse avec ses deux enfants. Le trio est alors ballotté d'un camp de réfugiés à l'autre. 

Travailler pour les services secrets américains

Par chance, Inge échappe à l'Holocauste et retrouve Otto Kollman, un ami qu'elle avait connu à Vienne pendant son adolescence et qui deviendra, quelques années plus tard, son mari. Il a un petit travail de pianiste au Café fédéral de Lugano, mais c'est une couverture. Il travaille en fait pour les services secrets américains afin d'espionner les invités germanophones.

Grâce à Otto, Inge Grinsberg décroche un travail de femme de ménage dans la "Villa Westphal", une maison infiltrée par des Américains où l'on pratiquait le trafic d'armes, des échanges d'otage et des opérations secrètes.

Trois mariages

1945, la guerre se termine, les services secrets américains proposent au couple de retourner à Vienne pour poursuivre cette activité d'espionnage, avec pour cible les communistes. Otto et Inge refusent, ils restent en Suisse pour se lancer dans la musique.

Ils sont engagés par la société Musikvertrieb, label de musique basé à Zurich. Dans les années 50, les stars de la maison s'appelaient Vico Torriani ou encore Lys Assia. Et ces artistes ont dans leur catalogue quelques chansons composées par Otto Kollman. Le couple part ensuite à Hollywood où le mari d'Inge compose des chansons pour Dean Martin et Nat King Cole.

En 1956, Inge Grinsberg et Otto se séparent et débute alors pour elle une nouvelle carrière professionnelle de journaliste à Zurich. Elle rencontre à la fin des années 50, lors d'un voyage en Israël, son second mari, Hans Kruger, directeur du premier hôtel de luxe du pays.

C'est aussi en Israël qu'elle fait la rencontre de son troisième mari, Kurt Ginsberg, un émigré juif de Vienne avec qui elle déménage en Equateur. Ils vont vivre entre Quito, Tel-Aviv, New York et la Suisse. Pendant cette période, Inge Grinsberg écrit plusieurs livres. Son mari décède en 1999. A l'âge de 77 ans, Inge retourne vivre seule à Zurich.

Inge et les TritoneKings

La veuve n'est pas du genre à prendre sa retraite pour couler des jours heureux et paisibles au bord d'un lac. C'est une femme non conventionnelle qui a connu la richesse, la pauvreté, la clandestinité, les voyages, l'écriture et la chanson. Et elle a des choses à dire.

Alors qu'elle montre à de jeunes amis ses poèmes, ceux-ci trouvent qu'ils ont des consonances qui se marieraient bien avec le death metal. Ils décident alors de créer un groupe qui prend le nom d'Inge et les TritoneKings. La vieille dame écrit les paroles et les jeunes la musique.

Après quelques tentatives pour représenter la Suisse ou l'Autriche lors de l'Eurovision Song Contest, c'est finalement en 2016 à travers le télé-crochet "Die grössten Schweizer Talente" qu'Inge Grinsberg commence à se faire entendre.

Mon plus grand talent n'est pas de chanter, mais de survivre

Tout compte fait, par rapport à tout ce qu'elle a vécu, cette petite incursion dans le death metal a presque 100 ans est quasi anecdotique.

Sujet radio: Mickael Marquet

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente