"Brigitte Fontaine est…folle?", les 50 ans d'un album emblématique

- "Tu connais Brigitte Fontaine?"
- "Pas vraiment, mais en tout cas elle est bien perchée!"

C'est l'échange typique auquel on assiste lorsque l'on évoque la chanteuse, poétesse et écriVAINe  la plus anticonformiste. Beaucoup trop de gens pensent que la bonne réponse à la question du titre de l'album "Brigitte Fontaine est…folle?", sorti en pleine crise de 1968, est oui. 50 ans plus tard, la France (et le reste du monde) se retrouve à nouveau plongée dans une période de troubles sociaux.

Brigitte Fontaine soufflera ses 80 bougies cet été et son album quinquagénaire est, en 2019, cent fois plus moderne que n’importe quel autre opus de chanson française.

Retour vers le futur

1968 en France: le séisme du mois de mai a tout envoyé valser. Cette fois c'est sûr, la période Yéyé est bel et bien morte et enterrée. Le twist c'est has-been. Salut les copains, à une prochaine! Les chanteurs à texte dits "rive gauche" reviennent en force, Serge Gainsbourg en tête avec son album "Initial B.B" (contenant entre autres le tube éponyme, Bonnie and Clyde ou encore Comic Strip). Et puis là, un ovni débarque dans le paysage musical francophone, une certaine Brigitte Fontaine et un album au titre qui lui collera à la peau pour les 50 prochaines années: "Brigitte Fontaine est…folle?".

Inconnue du grand public, cette jeune chanteuse (et comédienne) de 29 ans a déjà sorti, 2 ans auparavant, un disque passé totalement inaperçu intitulé "13 chansons décadentes et fantasmagoriques", qu'elle considère comme un premier essai qui n'a pas sa place dans sa discographie. Pour elle, "Brigitte Fontaine est…folle?" est son véritable premier album. Celle qui allait devenir la reine des kékés avait-elle conscience, à ce moment-là, que cet album n'aurait absolument jamais aucun équivalent?

Un best-of malgré lui

"Brigitte Fontaine est…folle?" est un album parfait. Le délicieux mariage polygame entre les compositions musicales de Jacques Higelin, Olivier Bloch-Lainé et Jean-Claude Vannier, les arrangements de ce dernier et les textes incisifs, cyniques, fatalistes et sophistiqués de Brigitte Fontaine donne un chef d'œuvre à l'équilibre idéal.

On ne se lasse pas d'écouter les piques piquantes piquer les acteurs du monde culturel dans le name-dropping "Comme Rimbaud". La chanson "Je suis inadaptée" qui a été récemment réadaptée version hard-rock est sans conteste LE tube de l'album. Tube de l'underground bien entendu… Les phases bizarroïdes de la rencontre impossible entre la vie et la mort de "Dommage que tu sois mort" dessinée par Maurice Tapiero accentuent l'aspect existentialiste de cet opus.

Du surréalisme également au menu: avec les allégories blasées de "Il pleut" et de la pochette de l'album, inspirée d'une toile du peintre flamand Jérôme Bosch (surréaliste 400 ans avant la naissance du mouvement). Tandis que "Blanche-Neige" se moque d'une certaine vision de la femme soumise et niaise, le féminisme intrinsèque à Brigitte Fontaine est exacerbé dans la chanson rigolote "Mon homme objet" (clippée par le plus inventif vidéaste de télévision de l'époque, Jean-Christophe Averty).

"Cet enfant que je t'avais fait" fait office de bouquet final. Glaçante et chaleureuse, cette chanson transgressive interprétée en duo avec Jacques Higelin conte l'avortement sur une douce berceuse.

La pré-world music?

"Brigitte Fontaine est...folle?" peut se targuer d'être la première réelle grosse sortie discographique des éditions Savarah fondées par Pierre Barouh. Avant Jean Karakos, son label Celluloïd et l'avènement de la "sono mondiale" du début des années 80, Pierre Barouh avec Savarah annonçait déjà dans les années 70, ce qui allait devenir la world music (terme commercial assumé à la sortie de l'album "Graceland" de Paul Simon en 1986, soit 18 ans après l'album de Fontaine).

"Brigitte Fontaine est...folle?" un album de world music avant l'heure? Et pourquoi pas. Les orchestrations de l'opus, aux sonorités exotiques de Jean-Claude Vannier font planer, font voyager, bien avant que Gainsbourg ne nous emmène en Jamaïque 11 ans plus tard, bien avant que la maman de l'épingle à nourrice-punk, Lizzy Mercier Descloux n'aille à la recherche des gazelles en 1984.

Héritage?

Néant. Autant demander qui est l'héritier de Serge Gainsbourg... Il n'y qu'avec elle-même que Brigitte Fontaine s'auto-influence pour ne surtout ne jamais refaire deux fois la même chose. Ne disait-elle pas "Une fois mais pas deux"? Parole tenue. Pourvu qu'elle applique ses principes envers la mort le plus longtemps possible (cf. "Dommage que tu sois mort").

Witold Langlois/ld