Il y dix ans à peine. Il y a dix ans déjà... Du "vertige de l'amour" à celui de la mort. Le 14 mars 2009, Alain Bashung passait de vie à trépas. Avec sa disparition à l'âge de 61 ans, c'est l'une des plus étonnantes métamorphoses de la scène musicale francophone qui s'en allait. Avec les mots et les sons qu'il malaxait pour dire au mieux ses rêves étranges, l'ex-rockeur était devenu un esthète qui touchait les foules.
Trente-deux ans d'un parcours marqué par une quête d'esthétique, de hauteurs, d'émotions, de sensations. Jusqu'à son brusque décès à Paris d'un cancer, Bashung aura vécu sa vie sans compromis. Comme en a témoigné son abnégation scénique des dix derniers mois précédent son décès, où sa voix grave continuait d'envoûter malgré sa silhouette d'ange noir.
Compromis entre le chaos et la structure
Lui qui aimait à se définir comme "un compromis entre le chaos et quelque chose de structuré" n’a cessé de chérir les ruptures plutôt que les systématiques. Le parcours artistique atypique de cet ex-yé-yé mué soudain en roi et dandy destroy du rock des années 80 aura été des plus exigeants formellement.
A sa mort, le musicien romand Christophe Calplini qui a signé quelques compositions de "L'Imprudence" dira justement que "Bashung était un alpiniste de la musique, qui prenait sans arrêt des risques, cherchait les accidents, laissait les choses ouvertes comme personne, toujours en quête de magie entre textes et sons".
Du banal "Roman-photo" (1977) aux sommets de "Fantaisie militaire" (1998), "L’Imprudence" (2002) et "Bleu pétrole" (2008), ses albums ont jeté des ponts tout en maniant les distorsions. Le chanteur n’est jamais vraiment entré dans le rang d’une chanson française classique. Fasciné par le rock et le folk américain, par Buddy Holy et Bob Dylan, il cherche à traduire ses références musicales d’une manière inédite. Bâtarde pour certains. Les mots le fascinent et, avec ses principaux complices successifs (Boris Bergman, Serge Gainsbourg et Jean Fauque), Monsieur rêve de nuances, a le vertige des assonances, malaxe la syntaxe en passant par le purgatoire des calembours faciles.
Troublant album posthume
Même son album posthume publié récemment, "En amont", au-delà du trouble que provoquent les retrouvailles avec la voix du défunt chanteur, c'est la qualité des chansons exhumées ici qui forcent encore le respect sans forcer le trait. Elles forment bien un album à part entière au lieu des chutes de studio à vocation commerciale initialement craintes.
Rien que pour sa version d' "Immortels" et les quelques titres plein de sentiments tourmentés ("La mariée des roseaux", "Ma peau va te plaire" ou "Elle me dit les mêmes mots") qu'Edith Fambuena a subtilement orchestrées, Bashung transporte.
L'Alsacien d'origine ne va sans doute pas cessé de le faire ni d'hanter nos mémoires, lui qui revient encore d'entre les morts par le biais d'une nouvelle intégrale composée de documents, duos, instrumentaux et raretés inédits.
>> A écouter: une série d'émissions dédiée à Alain Bashung (pour téléphone mobile) : Alain Bashung, de l'aube à l'aube
Olivier Horner
Sujet traité dans l'émission "Vertigo" sur La 1ère.
Une série extraite des archives de la RTS dédiée à Bashung
Durant l'été 2010, la Radio suisse romande, Radio France, Radio Canada et la Radiotélévision belge de la communauté française ont consacré une série à Alain Bashung. Archives et témoignages originaux nourrissent ce portrait à rebours d’une vie multiple.
Les dix volets chronologiques de la saga baptisée "Bashung, de l’aube à l’aube" reprennent en partie la thèse de la biographie de Marc Besse, "Bashung(s), une vie" (Albin Michel, 2009), avançant que la grande blessure de l’artiste gît dans l’enfance: du poids d’une naissance de père inconnu, non désirée par la mère, suivi par un ballottage de grand-mère en grand-mère. Un manque affectif et un abandon que Bashung aurait ensuite tenté toute sa vie de cicatriser par son œuvre imprégnée des cut-up de Burroughs et de rock, et procédant volontiers par ruptures.
>> Pour écouter cette série d'émissions: