Souma. C’est le petit nom affectueux que donnent les Egyptiens à Om Kalsoum, plus connue sous les patronymes suivants: l’Astre de l’Orient, la Quatrième Pyramide ou encore la Première Dame. On peut aussi l’appeler par son véritable nom dont l’orthographe varie selon les époques et les langues de ses admirateurs: Umm Kulthūm Ibrāhīm al-Sayyid al-Biltāgī…
Pour résumer, c’est simplement la plus grande chanteuse arabe de l’Histoire. Vénérée par des millions d’auditeurs chaque jeudi lorsqu’elle dévoilait une nouvelle chanson à la radio. Enterrée et célébrée par des millions d’orphelins en 1975 lorsque son cercueil fut transporté par une marée humaine à travers les rues du Caire.
Un collectionneur flamand farfouilleur de poubelles
Souma. C’est aussi le nom d’une maison de disque. Un micro label belge comme on dirait une micro-brasserie. Petite production, maximum d’attention. Avec comme patron le Flamand Fred Kramer. C’est un collectionneur de disques, le genre globe-trotter fouillant les arrière-boutiques du pourtour méditerranéen avec une préférence pour les cartons les plus poussiéreux et les bandes magnétiques oubliées.
Comme tout collectionneur, Fred Karmer a une marotte: il est fou du son années 60 des orgues de la marque italienne Farfisa. Imaginez du yé-yé oriental, du twist ottoman et vous avez une petite idée de sa collection… De retour à Anvers, Fred Kramer négocie les droits d’auteurs et réédite ces pépites en 45 tours sur Radio Martiko, son autre label.
Un jour au Caire, Fred Kramer, explore les archives de Sono Cairo, la maison de disques étatique égyptienne. Il déniche ses bricoles habituelles, mais les Egyptiens font la sourde oreille. Pas question de céder ces archives à moins que ce blanc-bec ne réédite aussi les grands classiques d’Om Kalsoum. L’affaire est épineuse: Om Kalsoum, ce n’est pas de la musique légère.
Au Caire, la cassette n'est pas morte
Ses grandes chansons s’étalent sur plus de quarante minutes et la diva s’accompagne d’un orchestre symphonique au grand complet. Pas tout à fait la tasse de thé (de menthe) de notre Belge amateur d’exotisme. Tout de même, il semblerait que sa compagne, férue de culture arabe classique, ait fait pencher la balance et voici donc la Diva rééditée en vinyle 33 tours à 5305 kilomètres de son mausolée, à Gand.
Précisons que le vinyle n’existe plus en Egypte depuis belle lurette. Selon l’âge et l’état des voitures prises dans les bouchons cairotes, on écoute Kalsoum en cassette, en CD ou plus probablement via le portable. Ces deux premiers albums réédités par Souma et pressés à un millier d’exemplaires sont donc essentiellement destinés au marché occidental.
Deux fleuves d'amour en crue...
En novembre 2017, Fred Kramer débarque dans l’échoppe du disquaire et label Bongo Joe à Genève. Il y donne une "conférence" sur sa tocade farfisesque orientalo-greco-lévantine et propose au public ses 45 tours ornés d’un petit singe bien pressé. A Genève, Fred Kramer rencontre Nadim Mohamed, trente ans, fan de musiques soul, jazz, funk, égyptien d’origine et… fan des grandes sagas vocales d’Om Kalsoum. A lui de rédiger les notes de pochettes.
Un rêve éveillé pour le fan genevois de Souma. Et voici tout frais, bien emballé, les deux premiers 33 tours réédités, les formidables "El Hob Kollo" (Tout l’amour) et "Alf Leila Wa Leila" (Les 1001 nuits). Les chansons préférées de Nadim Mohamed. Deux fleuves d’amour en crue…
Thierry Sartoretti/aq