Connu pour ses opéras et opérettes ("Orphée aux Enfers", "La Belle Hélène", "Les Contes d'Hoffmann"), Jacques Offenbach a aussi été un formidable homme de médias, un pionnier de l'auto-promotion, un précurseur du "storytelling". C'est ce que révèlent les quelque 120 lettres du compositeur parues dans le quotidien Le Figaro, de 1854 à sa mort en 1880. En rassemblant ce corpus et en le commentant dans "M. Offenbach nous écrit" (Ed. Actes Sud), l'historien Jean-Claude Yon met en lumière la pensée et la personnalité d'un musicien qui savait manier les mots aussi bien que les notes.
Une alliance avec Le Figaro
Pour se faire connaître, Jacques Offenbach s'appuie sur son amitié avec Hippolyte de Villemessant, créateur du journal Le Figaro en 1854. Le premier quotidien français deviendra l'outil de promotion de son oeuvre et du théâtre des Bouffes-Parisiens, dont il est le propriétaire pendant quelque temps!
Offenbach, juif immigré allemand débarqué seul à Paris en 1833 et fin connaisseur de la langue française, écrit, argumente, s'enthousiasme, se défend des attaques dont il est l'objet, ridiculise ses adversaires, dans un style à la fois impertinent, novateur et facétieux qui plaît aux lecteurs. L'homme manie aussi très bien la polémique qu'il instrumentalise pour se faire de la publicité.
>> A voir: Menuet et le fameux Galop infernal, extraits de l'opéra "Orphée aux enfers" présenté par l'Atelier Lyrique Angévin au Grand Théatre d'Angers en 2010:
En 1858, pour la création d'"Orphée aux enfers", il est à court d'argent et doit absolument obtenir un succès pour rémunérer comédiens et chanteurs. Mais lors des premières représentations, l'opéra désarçonne et le critique le plus célèbre de Paris, Jules Janin, fustige l'oeuvre en quelques lignes, estimant que l'opéra ne respecte pas la mythologie. L'articulet passe inaperçu mais Offenbach en profite pour répondre dans Le Figaro et provoquer un débat public par articles interposés avec Jules Janin. A force d'en entendre parler, les lecteurs et le public courent voir cet "Orphée aux enfers" qui deviendra l'un de ses plus grands succès.
Ce partenariat entre l'artiste et le journal réjouit tout autant le patron du Figaro qui écrit en 1873:
Nous avons, je puis le dire, réussi chacun dans le genre que nous avons créé, lui dans l’opérette-bouffe, moi dans le petit journalisme; nos succès ont été frères, car ceux qui vont entendre la musique d’Offenbach lisent le Figaro et réciproquement.
Le génie de l'autopromotion
Grâce à ses talents de communicateur, sa musique va faire le tour du monde. "Offenbach va devenir une personnalité mondiale, un des premiers musiciens à être connu aussi bien au fin fond de la Russie, qu'au Brésil, qu'en Scandinavie ou qu'en Afrique du Sud" explique Jean-Claude Yon.
L'historien relativise néanmoins cette reconnaissance mondiale: "Derrière cette gaieté, cette légèreté, il y a une gravité, une noirceur, une souffrance. Car cet immigré allemand va mettre vingt ans pour être véritablement accepté par le milieu musical parisien. Malgré ses efforts, il ne le sera pourtant jamais. Pas plus aujourd'hui d'ailleurs, si on en juge par le peu de choses organisées pour son bicentenaire à Paris."
Etre sur le devant de la scène
Au-delà de ses contributions au Figaro, Offenbach, toute sa vie, s'est attaché à construire son image. Il est un des premiers à comprendre le fonctionnement du système médiatique naissant. Il sait que pour faire parler de lui, il doit se démarquer, être original et omniprésent. "Si Offenbach vivait aujourd'hui, il serait présent sur tous les réseaux sociaux, c'est certain" s'amuse l'historien.
L'artiste ne ménage pas sa peine. Il ne se contente pas de se mettre en scène comme musicien mais aussi comme homme privé en montrant sa famille, sa villa Orphée à Étretat en Normandie ou en organisant des fêtes brillantes qui font courir le Tout-Paris. Offenbach est en permanence sur le devant de la scène.
Chez Offenbach, il y a un côté Lady Gaga ou Madonna dans l'aspect un peu excessif et dans sa manière de s'habiller. Il gère ça vraiment comme une star.
Cet aspect du personnage peut paraître dérisoire mais s'explique très bien, estime Jean-Claude Yon. Avant de devenir célèbre, Offenbach a vécu plusieurs années de galère. "Le succès est venu tardivement. A travers toutes ces lettres qu'il a publiées dans Le Figaro, et même dans ses positions parfois un peu m'as-tu-vu ou opportunistes, on retrouve cet amour très profond de son art et la volonté de mettre en valeur sa musique. Tout ce côté "mise en scène de soi" qui pourrait être agaçant, Offenbach lui-même n'y croit pas à 100 %. Il a été un très grand séducteur et est resté profondément attachant."
Propos recueillis par David Christoffel et Anne-Laure Gannac
Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente/mcm