Nougaro, la chanson mariée au jazz et la java pour l'éternité

Ce lundi 9 septembre, Claude Nougaro aurait eu 90 ans. Le 9 est un chiffre qui tient au coeur du chanteur né sous un carré de neuf, le 9. 9. 1929. Cet anniversaire est en tout cas l'occasion pour Warner et Universal de sortir un sublime coffret comprenant l’intégrale des albums studio de Nougaro dont le premier a été enregistré... en 1959.

Neuf comme le sang que Nougaro le "motsicien" apporte à la chanson française, à une époque où on ne jure que par le rock et le twist. Le Français, lui, marie jazz, blues, java, poésie, cinéma, New York, Paris, ses faubourgs, le Brésil, et bien sûr "son païs", Toulouse la ville rose.

Ville rose pour enfance morose

Ce qui constitue tout de même une double ironie. D’abord parce que Nougaro refusait de se voir attaché à un terroir: "le terroir", disait-il, "ça enterre". Ensuite, parce que quand il écrit ce texte, en 1967, il vit à Paris et voit tout en noir. Dans la première version de la chanson "Ô Toulouse", il règle ses comptes avec sa ville en raison de l’enfance moins rose que morose qu’il y a passé.

Mais sa femme d’alors, Odette, l’arrête:" quand on écrit à une ville qui vous a vu naître, on lui écrit une chanson d’amour". Odette a permis l’ode et "Ô Toulouse" devient dès les années 70 l’un des succès éternels de Nougaro.

Pas son premier évidemment. Il y avait déjà eu "Cécile", du prénom de sa fille mais avant elle encore, de sa grand-mère qui l’avait élevé, après l’avoir fait sortir au forceps du ventre d’une pianiste. Bien avant, il y avait eu ses poèmes, clamés sur scène ou offerts à d’autres: Marcel Amont, Edith Piaf. Car Nougaro est d’abord poète, l'amant des mots. C'est d'ailleurs le titre d’un recueil d’aphorismes tout juste paru.

Quand le cinéma entre en chanson

Chanter, il n’y pense alors même pas: dans la famille Nougaro, le chanteur c'est Pierre, le père, baryton à l’opéra de Paris. Pour oser rivaliser, il faudra l’insistance d’un compagnon de composition crucial, le compositeur Michel Legrand. Crucial aussi parce qu’ensemble, ils font entrer le cinéma dans la chanson française et réciproquement. Les titres du tandem comme "A bout de souffle", "Le Cinéma" s’écoutent ainsi comme des polars.

Une bête de scène

Nougaro ne fait pas 1m80, n’a pas des biceps plein les manches mais "Petit Taureau" (nom d’un autre titre et album) est une bête de scène. Il fallait le voir en scène ou revoir ses concerts en ligne.

Hors champ? Il se consume autant: "Je vis à tombeau ouvert et à guichet fermé", aimait-il à dire. Le chanteur a donc connu de nombreuses traversées du désert en 35 ans de carrière et jusqu'à son dernier souffle, le 4 mars 2004.

Le livret qui accompagne le nouveau coffret discographique "Le Feu Sacré" corrige pourtant certains éléments de sa vie. Par exemple, on y apprend que son titre "Paris Mai", sorti en 1968, s’inspire en fait du chant traditionnel africain "Flo me la" et qu’il n’est pas le chant d’un révolutionnaire que beaucoup jusqu'à présent y ont entendu.

Nougaro, qui avait commencé sa vie comme journaliste à Vichy, s’est d'ailleurs toujours dit "artiste désengagé professionnel" visant plus vaste: la délivrance. Et la réconciliation: voix de matamore et plume d’ange (c'est l’un de ses textes), il est la mélancolie qui chante "donne-moi la main camarade", le boxeur qui dans violence entend vie ("Vie violence ça va de pair", le désillusionné qui invite à garder l’espérance en l’homme. "L'espérance en l'homme", titre justement à retrouver dans le coffret qui accompagne les 90 ans de sa naissance.

Anne-Laure Gannac/olhor

Coffret "Le Feu Sacré" (Warner/Universal).

Livre d'aphorismes " L’Amant des mots" (éditions Le Castor Astral).