"Une de mes profs m'a parlé des bêtabloquants pour arrêter de trembler. Il faut prendre un huitième de la toute petite pastille et ça va calmer le cœur. Ça faisait un peu drogue suspecte au début, ça fait un peu peur, et du premier coup ça a été magique. D'un coup, on est détaché de ce tremblement des mains sur l’archet. Donc, dès qu'il y avait un gros truc sujet au stress, je prenais un huitième. Je n'osais surtout pas dépasser par peur que ce soit trop extrême."
Ce témoignage recueilli par le 19h30 est celui d'une altiste professionnelle qui prend des bêtabloquants avant chaque concert ou examen.
Disponible uniquement sur prescription, le médicament, souvent de l'Indéral, inhibe les montées d’adrénaline. Mais il est normalement prescrit comme traitement de pathologies cardiaques comme l'hypertension ou la fibrillation.
Un secret de polichinelle
Chez les musiciens professionnels, cette prise régulière de médicaments est un secret de polichinelle. Course à la perfection ou ultra-concurrence, beaucoup en prendraient, même s'il est difficile de savoir combien exactement.
Physiothérapeute et psychanalyste, Aude Hauser-Mottier traite les personnes atteintes par le trac et elle estime qu'entre 20 et 30% des concertistes auraient recours aux bêtabloquants. Pour elle, "si ça devient une habitude, c'est une habitude très néfaste, parce que justement ça diminue le rythme cardiaque, la tension chez des gens qui n'ont pas les pathologies".
Et ces personnes vont ainsi se retrouver en sous-régime dans la vie courante, ce qui les plonge dans un état qui peut être dépressif à longue échéance. "Donc, je suis totalement opposée", conclut Aude Hauser-Mottier.
Des conséquences musicalement aussi
Les bêtabloquants auraient aussi des conséquences musicalement. Coupés de leur adrénaline, les musiciens joueraient sans émotion.
A la Haute école de musique, le phénomène est connu et pris en charge. L'un de ses responsables, Patrick Lehmann, confie que des cours de décontraction avec un médecin ont été mis en place. "On a d’excellents résultats: des gens qui a priori avaient des problèmes à ce niveau-là et qui réussissent des concours et gagnent des postes dans des orchestres sans l’aide de bêtabloquants."
Flore Amos/boi