Les géographes ont parfois tort. Prenez le Cap-Vert, cette éparpillée de cailloux plus ou moins fertiles, plus ou moins pelés, sous le vent de l'Atlantique, face au Sénégal. L'archipel ne compte pas dix îles – chiffre officiel – mais bel et bien onze. La onzième, c'est la diaspora cap-verdienne tout aussi éparpillée entre l'ancienne métropole Lisbonne, les ports de Hollande ou encore les Etats-Unis.
C'est la diaspora qui fait tourner l'économie. Et c'est encore la diaspora qui a révélé la plus précieuse richesse de l'archipel: sa musique. Une musique longtemps incarnée par la diva aux pieds nus, Cesaria Evora et sa morna, une chanson dont la douceur nostalgique vaut bien le chant des sirènes de l'Odyssée.
Mayra Andrade, trésor musical du Cap-Vert
C'est encore à la diaspora que l'on doit Mayra Andrade, cet autre trésor musical du Cap-Vert au timbre de voix souple et voilé. Une jeunesse nomade au gré des affectations de son père diplomate, une vie entre l'Angola, le Sénégal, le Brésil, Cuba, Paris ou Berlin et aujourd'hui Lisbonne.
Mayra Andrade livre un cinquième album qui lui ressemble. Un album d'aujourd'hui. Cap-verdien assurément, baigné par les mélodies de l'île, ses rythmes de danse, mais aussi électrisé par les sons de l'Afrique actuelle. On est loin du folklore, loin des clichés de vacances. Plus près d'une certaine réalité de cette diaspora africaine qui peuple les faubourgs de Lisbonne, marie les rythmes du continent noir avec les machines à faire danser les clubs.
Mayra Andrade a confié ses chansons à des sapeurs de génie, dont l'Ivoirien 2B et le Sénégalais Akatché. Sapeurs? Ces deux-là manient les beats et les sons comme les tailleurs créent les fabuleux costumes destinés à la très sélecte société des ambianceurs et personnes élégantes. La classe, rien de moins.
En accord avec son identité créole et lusophone
Installée à Lisbonne depuis 2016, après une quinzaine d'années passées à Paris, la chanteuse cap-verdienne savoure avec gourmandise ce "Manga", un album qui a la générosité et le fruité de son titre. Pas question de renier ses chansons en français (avec Aznavour ou Benjamin Biolay, excusez du peu), ses pas de côté en anglais ou ses incursions dans un répertoire plus jazzy, mais la voici en plein accord avec son identité créole et lusophone, mature dans un style qui appartient en propre.
Mayra Andrade parle aujourd'hui de sa ville comme "d'une nouvelle Berlin des années 90". Une ville bourdonnante de culture, sortie grandie de la crise économique, dont l'énergie solaire, métissée, positive, irrigue son nouvel album. Adieu saudade et tristesse, bonjour vitalité.
Thierry Sartoretti/aq
CD: Mayra Andrade, "Manga" (Columbia).
Mayra Andrade en concert le 19 septembre, Vernier, salle des Fêtes du Lignon.