Arthur Grumiaux, le violoniste en quête de perfection

Grand Format

AFP - Leemage

Introduction

Discret et réservé, Arthur Grumiaux (1921-1986) compte au nombre des grands violonistes du XXe siècle. Toujours à la recherche de poésie et d'émotion, le virtuose belge a marqué la vie musicale de l'après-guerre. Un livre paru en 1996 - et récemment réédité aux éditions MW - lui rend hommage à travers un portrait vibrant et riche de nombreux témoignages.

Chapitre 1
L'école belge du violon

MW éditions

Arthur Grumiaux est l'un des plus illustres représentants de l'école belge de violon depuis Henri Vieuxtemps et Eugène Ysaÿe. Il en a porté l'héritage à son plus haut niveau, héritage qu'il a ensuite transmis à travers son enseignement.

Fait rare à cette époque, Arthur Grumiaux brille dans le monde entier non seulement comme soliste mais aussi comme musicien de chambre. Le plus souvent, son nom est associé à celui de Clara Haskil, avec qui il constitue un duo célèbre. En témoigne l'importante discographie qu'ils enregistrent ensemble, et dans laquelle figure pas moins qu'une intégrale des Sonates pour violon et piano de Mozart et de Beethoven.

De tous les violonistes, il était celui que je préférais. Chez lui, j'aimais tout parce que tout était intéressant, chaleureux et vrai.

Nathan Milstein, violoniste

Chapitre 2
Un enfant prodige

MW éditions

Le jeune Arthur naît le 21 mars 1921 à Villers Perwin dans la province du Hainaut, en Belgique. Il est l'unique enfant d'un couple qui très vite va se dissoudre. Enfant prodige, Arthur commence l'étude de la musique très jeune auprès de son grand-père qui distingue rapidement ses dons musicaux et lui offre son premier violon.

Le jeune garçon se produit pour la première fois en concert alors qu'il n'a que cinq ans et demi. Il entre ensuite au Conservatoire de Charleroi avant d'intégrer au Conservatoire de Bruxelles la classe d'Alfred Dubois: ce pédagogue, qui fut un disciple d'Eugène Ysaÿe, donne le meilleur de lui-même pour amener l'adolescent à la maturité et l'entourer d'une affection toute paternelle. Sous sa gouverne, le jeune Grumiaux décroche son premier prix en 1936, à seulement 14 ans.

La classe d'Alfred Dubois au Conservatoire royal de Bruxelles, salle 13. [MW éditions]
La classe d'Alfred Dubois au Conservatoire royal de Bruxelles, salle 13. [MW éditions]

Ses études achevées, il continue néanmoins à travailler auprès d'Alfred Dubois qui l'aide à préparer ses programmes de concert et lui apprend à négocier ses cachets. Puis il l'encourage vivement à aller parfaire sa formation à Paris, auprès de George Enesco.

Chapitre 3
Pianiste de renom

MW éditions

Arthur Grumiaux est non seulement un virtuose du violon, mais également un remarquable pianiste. Il adore accompagner ses élèves au piano et joue le répertoire au plus haut niveau.

Plusieurs fois, les organisateurs de concert lui proposent de jouer dans un même programme le concerto pour violon de Beethoven suivi d'un des concertos pour piano. Arthur Grumiaux n'accepte qu'une seul fois, jouant le 4e concerto pour piano de Beethoven.

Il enregistre également un disque chez Philips dans lequel il joue à la fois les parties de piano et de violon d'une sonate de Brahms et d'une sonate de Mozart. Un enregistrement unanimement salué par la critique comme musicalement exceptionnel. Grumiaux souhaite réaliser ainsi l'intégrale des sonates de Beethoven et de Mozart. Mais son label ne le suit malheureusement pas dans ce projet.

>> A écouter, l'émission "Quai des Orfèvres" "Arthur Grumiaux, élégance et poésie" :

Le violoniste Arthur Grumiaux à la Scala de Milan le 12 avril 1966. [Leemage]Leemage
Quai des orfèvres - Publié le 9 octobre 2019

Chapitre 4
La beauté du son

MW éditions

La conception du son, les couleurs sonores contrastées, le souffle et la dynamique restent des valeurs particulièrement marquées chez les violonistes issus de l'école belge.

Le terme école est à prendre avec des pincettes, car si Arthur Grumiaux est belge d'origine, il n'existe pour lui qu'une seule école: la bonne. Car ce n'est pas l'école qui fait le violoniste, mais le violoniste qui crée un style, et qui par son approche personnelle, peut devenir un modèle pour les autres.

Et si Arthur Grumiaux est devenu un modèle pour les autres, c'est sans doute parce que son jeu se caractérise par une irrésistible poésie et une sonorité d'une beauté diaphane. Dès son plus jeune âge, il séduit son public non pas par sa jeunesse, mais bien par sa capacité à émouvoir. Très vite il se montre particulièrement exigeant en matière de sonorité.

Arthur Grumiaux à la fin des années soixante, pureté et noblesse du style. [MW éditions]
Arthur Grumiaux à la fin des années soixante, pureté et noblesse du style. [MW éditions]

Le chef d'orchestre Colin Davis, avec qui le violoniste enregistre souvent pour la compagnie Philips, dit même sans ambage qu'Arthur Grumiaux produit le plus beau son jamais réalisé au violon. 

Lorsqu'il dispose de la liberté du choix de ses programmes, Arthur Grumiaux inscrit toujours une pièce contemporaine à côté des grands classiques ou romantiques. Il apprécie les contrastes, les changements d'expressions, d'atmosphère.

Cette orientation traduit l'expression d'un goût sincère de faire découvrir des partition encore peu connues voire inconnues.

>> A écouter, l'émission "Quai des Orfèvres" "Arthur Grumiaux, l'émotion retenue" :

Le violoniste belge Arthur Grumiaux (1921-1986). [Lipnitzki / Roger-Viollet]Lipnitzki / Roger-Viollet
Quai des orfèvres - Publié le 10 octobre 2019

Chapitre 5
La Suisse et Ansermet

Après la guerre, la carrière d'Arthur Grumiaux se développe et prend son envol.

Le violoniste donne d'innombrables concerts en Angleterre où ses interprétations sont unanimement saluées par la presse. Toute l'Europe ne tarde pas à le solliciter. La Suisse ne fait pas exception.

La rencontre entre Arthur Grumiaux et Ernest Ansermet marque le début d'une longue amitié. A cette époque, Ansermet règne sur la vie musicale de tout le pays. Il est mondialement reconnu comme le porte-drapeau de la musique contemporaine.

Lors de sa première tournée américaine en 1952, Grumiaux joue à Boston sous la direction du chef suisse Ernest Ansermet. [MW éditions]
Lors de sa première tournée américaine en 1952, Grumiaux joue à Boston sous la direction du chef suisse Ernest Ansermet. [MW éditions]

C'est donc tout naturellement Arthur Grumiaux qu'il sollicite pour interpréter en première audition suisse le Concerto pour violon et orchestre de Béla Bartok. Le concert a lieu le 24 mars 1947 au Victoria Hall de Genève et est retransmis à la radio suisse. Le célèbre pianiste Dinu Lipatti est à l'écoute et lui écrit ensuite cette lettre:

"Cher Monsieur,
Une persévérante malchance a voulu que je manque à chacun de vos concerts en Suisse, en arrivant toujours dans la ville après votre départ. (...) C'est de Berne que j'ai pu écouter votre magnifique exécution du Bartok à Genève.

Je peux vous dire l'immense joie artistique ressentie en vous écoutant. De savoir que dans cette Europe décadente, appauvrie et menacée existent encore de véritables valeurs humaines, cela donne de l’espoir dans l'avenir."

Le pianiste Dinu Lipatti, très admiré pour son sens du tempo et la pureté de son jeu. [CC-BY-SA - Germaine Martin]
Le pianiste Dinu Lipatti, très admiré pour son sens du tempo et la pureté de son jeu. [CC-BY-SA - Germaine Martin]

>> A écouter, l'émission "Quai des Orfèvres" consacrée à Arthur Grumiaux et la Suisse :

Arthur Grumiaux en 1968. [AFP - Jacques Chevry / Ina]AFP - Jacques Chevry / Ina
Quai des orfèvres - Publié le 19 octobre 2019

Chapitre 6
Rencontre avec Clara Haskil

MW éditions

C'est dans le cadre du Festival de Prades, en France, qu'Arthur Grumiaux fait la connaissance de Clara Haskil. Les deux artistes se reconnaissent immédiatement. Ils ont commun leur façon de jouer. Grumiaux est attentif aux plus petites choses, accorde de la valeur à chaque détail.

Clara Haskil partage cette conception, pas de grands contrastes mais un raffinement extrême dans les plus petites nuances, les teintes les plus délicates, les plus légères.

Arthur Grumiaux et Clara Haskil. [MW éditions]
Arthur Grumiaux et Clara Haskil. [MW éditions]

Par la suite, Arthur Grumiaux vient souvent lui rendre visite dans sa maison de Vevey, au bord du lac Léman. Avant de sonner chez elle, il passe systématiquement dans une pâtisserie et ramène un grand nombre de gateaux.

Et quand on lui demande comment se déroule leur répétition, il répond avec un sourire désarmant et une moue gourmande qu'ils aiment bien manger des gâteaux.

En 1956, la lettre qu'envoie la pianiste à l'épouse d'Arthur Grumiaux, Amanda, si elle fait état de son sens critique, trahit surtout son émotion et sa modestie.

"Chère amie,
(...) Vous savez depuis longtemps combien votre amitié à tous deux me tient à coeur et la joie immense que j'ai toujours à faire de la musique avec Arthur. C'était un souhait secret depuis des années, et si un festival de Casals, à Prades, ne nous avait réuni cette fois-là, peut-être jamais cette joie ne m'aurait été donnée! (...)
Arthur vous dira, avant que cette lettre ne vous parvienne, que nos enregistrements ont été faits en un record de vitesse. (...) Mes disques ne me font pas plaisir - il s'en faut de beaucoup -, mais ceux avec Arthur, je les écoute avec émotion.
Je me réjouis beaucoup de vous revoir."

Clara Haskil et le violoniste Arthur Grumiaux à Paris en 1957 ou 1959. [Fonds Clara Haskil, BCU Lausanne - Henri Guilbaud]
Clara Haskil et le violoniste Arthur Grumiaux à Paris en 1957 ou 1959. [Fonds Clara Haskil, BCU Lausanne - Henri Guilbaud]

Chapitre 7
L'exigence avant tout

MW éditions

"Arthur Grumiaux vivait l'exigence comme une nécessité intérieure absolue", écrivent Laurence et Michel Winthrop en conclusion de leur ouvrage. Cette tension, cette volonté, inscrites au fond de lui, ont contribué à l'approfondissement de son art. Il les a utilisées pour donner le meilleur de lui-même et convaincre le public à chaque concert. Il a montré que le chemin à parcourir apparaît aussi bien comme une manière de vivre, une éthique sans compromis, que comme un travail permanent. Là se trouve son véritable enseignement.

"Je sais qu'il existe des violonistes qui peaufinent un concerto par an et qui font avec ce seul concerto le tour du monde", explique Arthur Grumiaux dans une interview au début des années 1980. "Pour moi, jouer la même chose consécutivement, ce n'est plus tout à fait de la musique. Il arrive qu'un orchestre me demande de l'accompagner en tournée, mais j'y mets toujours la condition de pouvoir jouer plusieurs concertos différents. C'est exact qu'aujourd'hui, certains interprètes préfèrent parfois la perfection glaciale à l'émotion. Le résultat sonore est presque toujours impeccable et pourtant, vous avez l'impression que ces virtuoses souverains n'ont rien dit et qu'il vous manque quelque chose. Pour moi, interpréter la musique, et par-dessus tout Mozart, c'est justement parvenir à rendre perceptible ce quelque chose-là."

Epuisé, Arthur Grumiaux décède le 16 octobre 1986 à Bruxelles. Il demeure incontestablement un des grands maîtres du violon du XXe siècle.