Elle rêve d'abord. Comme si aucune note d'espoir n'était envisageable dans la réalité. Dans son flow à la fois coulant et tendu, les mots de Kate Tempest claquent comme autant de gifles infligées à la grisaille et au désespoir contemporains. La rappeuse, poétesse, auteure de romans et de pièces de théâtre a l'air d'une enfant des bas-fonds de Londres au XIXe siècle. Sa chevelure blonde-rousse en bataille n'aurait pas dépareillé chez un personnage de Charles Dickens, tout comme sa gouaille contant les tourments de ses contemporains.
Solitudes mondialisées
Dans sa tenue aussi noire que ses propos à fleur de peau d'où ne brille qu'un fin collier, Kate Tempest illumine pourtant de son charisme vocal. Déambulant sur scène au rythme du peu de rythmiques que propose son architecte sonore penchée sur ses samplers et machines synthétiques, elle vous emmène sans vous lâcher dans ses histoires déclamées d'un hyperréalisme cinglant.
Après avoir demandé "Que peut-on faire pour rester humain?", après avoir dépeint nos solitudes mondialisées ou chroniqué une Angleterre déchue, un capitalisme ravageur ou l'aliénation engendrée par les écrans de télévision, elle instille soudain la possibilité d'un horizon dégagé via quelques notes d'un piano guilleret ( "I Trap You", extrait de son récent troisième album "The Book of Traps and Lessons"). Comme si son rêve liminaire pouvait devenir réalité.
Colères recentrées
Mais Kate Tempest ne se montre pas complètement optimiste pour autant. En recentrant ses colères davantage sur ses seuls mots que sur la musique, son répertoire entremêlant autrefois Samuel Beckett et le Wu-Tang Clan ou Eminem prend une dimension inédite. La partition électro-synthétique ne semble présente que pour appuyer où ça fait mal, souligner ou atténuer les désillusions, coups de sang et états d'âme. Une esthétique plus intimiste qui lui permet d'explorer plus avant les limites de l'être humain.
Presque aucun temps morts dans sa déclinaison scénique de "The Book of Traps and Lessons" où affleurent encore quelques thèmes suffocants comme le racisme, la violence et l'addiction. Comme autant de chapitres d'un roman désappointant où les réseaux sociaux isolent plus que jamais, le concert de Kate Tempest parvient à fédérer, à tisser ces liens de communauté que la rappeuse appelle souvent de ses voeux. Elle conclut d'ailleurs par "I Love People's Faces", en étreignant sa complice musicale, le public encore suspendu à ses lèvres, à son flow remuant et touchant.
Olivier Horner
Succès de la 15e édition des Créatives
Avec une participation historique de plus de 17'000 personnes (20% d’augmentation), la 15e édition du festival Les Créatives à Genève, placée sous le signe du collectif, de la colère et du rire, a constitué un moment rare de mobilisation féministe autour d’une programmation exceptionnelle d’artistes et de personnalités engagées pour faire entendre la parole des femmes, ont indiqué lundi soir dans un communiqué les organisateurs.
"Jamais le festival n’était parvenu à rassembler autant de mixité et de diversité: sur les scènes, dans les salles, comme parmi l’équipe et les bénévoles. Les arts et les féminismes touchent largement. Ils sont nécessaires pour porter des changements de société profonds", y affirment notamment les deux co-directrices Anne-Claire Adet et Dominique Rovini.