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"The Beautiful Ones" de Prince, un fantasme d'autobiographie

Le musicien Prince lors d'un match de la NBA à Las Vegas en 2007. [EPA/Keystone - Paul Buck]
Livre: "The Beautiful Ones", l'autobiographie fantasmée de Prince / Vertigo / 9 min. / le 5 décembre 2019
Les mémoires de la superstar américaine Prince, laissées à l'état fragmentaire, viennent d'être publiés dans une édition illustrée co-écrite par le journaliste américain Dan Piepenbring.

Ce devait être "le plus grand livre musical de tous les temps". Avec sa modestie légendaire, Prince l'avait désiré ainsi. Les opiacés ont eu raison de cette utopie littéraire. Le 21 avril 2016, la superstar américaine est retrouvée sans vie en son antre pourpre de Paisley Park aux Etats-Unis. Quelques mois à peine après les premières ébauches d'un témoignage qu'il souhaitait absolu, et dont les maigres feuillets sont aujourd'hui révélés.

Entre chansons et récits manuscrits, photographies intimes et souvenirs d'enfance, "The Beautiful Ones - Mémoires inachevées", paru simultanément en anglais et en traduction française, n'est que le fantasme en kaléidoscope d'une autobiographie tronquée.

Un manuel d'émancipation pour les artistes afro-américains

La couverture du livre "Prince. The Beautiful Ones. Mémoires inachevés". [Robert Laffont]
La couverture du livre "Prince. The Beautiful Ones. Mémoires inachevés". [Robert Laffont]

Depuis le début de l'année 2016, Prince caressait le désir d'écrire ses mémoires. Mais pas n'importe comment. Le livre qu'il avait en tête et dont le titre, inspiré d'une de ses plus belles chansons, était déjà arrêté, devait être bien plus qu'un simple récit de vie à la première personne.

"Je veux que ce livre parle d'une chose essentielle: la liberté, la liberté de créer de façon autonome. Sans que personne ne vous dise ce que vous devez faire, ni comment ni pourquoi", confie-t-il à Dan Piepenbring, le journaliste américain qu'il avait choisi comme répondant.

A travers l'exemple d'une vie passée à se réinventer en artiste souverain, Prince entend tendre au lecteur un miroir édifiant. Son livre, il l'envisage d'abord comme un manuel d'émancipation à l'usage des jeunes artistes afro-américains. Mieux encore, il veut opposer son récit à l'une des pierres angulaires de la pensée néolibérale américaine: la célèbre "Source vive" ("The Fountainhead"), roman d'Ayn Rand célébrant l'individualisme et le mérite personnel. "Il nous faut un livre qui parle aux aristocrates, précise Prince, pas uniquement aux fans. Nous devons déconstruire, brique après brique, 'Source vive'."

30 feuillets manuscrits

Détruire l'idéologie individualiste pour célébrer l'effort collectif. Venant de Prince, un musicien connu pour son contrôle sourcilleux de tous les paramètres de son art, la remarque a de quoi surprendre. L'histoire que raconte ce livre, pourtant, témoigne d'un artiste à la fois solitaire et tourné vers l'échange, la collaboration, le partage et l'organisation de cercles complices.

Essentielle à l'appréhension de ce livre, la longue introduction dans laquelle Dan Piepenbring évoque ses quelques rencontres avec Prince nous livre ainsi l'esprit, à défaut de la lettre, de son projet spéculatif. Que reste-t-il alors de la main du chanteur? Trente feuillets manuscrits, qu'il faut lire de préférence en anglais, pour goûter à sa graphie singulière, qui remplace les "I" par des yeux, les "You" par des U, les "are" par des R et les "for" par des 4. Un jeu hiéroglyphique que Prince avait établi très tôt dans ses titres de chansons.

Un travelling généreux

Dans ces quelques pages reproduites en fac-similé, le récit du musicien, également cinéaste, offre un travelling généreux qui part des yeux de sa mère, premier souvenir ému, pour s'achever dans les regards aguicheurs de ses premières amours adolescentes.

Le ton est gai, la plume vive, malicieuse et complice. L'amertume n'en est que plus cruelle d'en rester là, de ne pas lire, avec sa voix, ses mots, le récit de ses succès à venir, de son combat pour l'indépendance artistique et les leçons de sa maturité accomplie. Lui qui a su si bien chanter la frustration, sexuelle avant tout, frustre en expert le lecteur. Le Prince des garde-robes conservera son mystère, drapé des mémoires que le temps nous dérobe.

Nicolas Julliard/aq

Prince avec Dan Piepenbring, "The Beautiful Ones - Mémoires inachevées", Robert Laffont.

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