Pendant trois mois, en 2019, Haïti a été littéralement bloqué par des manifestations qui exigeaient le départ du président Jovenel Moïse mais aussi que des comptes soient rendus par des politiques, qui ont non seulement échoué dans leur tâche mais ont aussi allégrement pillé les caisses de l'État. Sur les barricades, dans les défilés denses qui structuraient Port-au-Prince, des mélodies surgissaient, des rythmes compulsifs, comme si les slogans forcément devaient ici être chantés.
Un soir de décembre, dans un club situé sur les hauteurs de la capitale - le Jojo -, des gardes en kaki armés de fusils d'assaut fouillent ceux qui viennent écouter le concert. Sur la scène, une sorte de chanteur de bal, le crâne rasé, distille sur un clavier électronique des reprises lasses de classiques de la chanson française et américaine. Il s'appelle Michel Martelly, il a été président de son pays jusqu'en 2016 et il joue désormais tous les mercredis pour l'élite économique haïtienne et quelques ministres actuels.
Cette vision, celle d'un ancien chef d'État dont le nom est impliqué dans le scandale de corruption Petrocaribe et qui continue d'animer sans encombre les nuits de la capitale, est une métaphore de ce pays à l'aube de 2020. Martelly parle du système qu'il a affronté comme s'il n'était lui-même pas l'incarnation de ce système: "Vous savez, le peuple m'a élu parce que j'étais un vagabond. Ils avaient déjà essayé les gens en cravate et ça n'a pas marché. Moi je montre mon cul sur scène pour faire de l'argent mais en politique, je suis sérieux".