Ballaké Sissoko joue de la kora, un instrument de la famille des harpes. Une demi-calebasse d'environ cinquante centimètres évidée et recouverte de peau de vache ou de chèvre. Le manche fait plus d'un mètre. Il y a plus de vingt cordes, des chevilles, un chevalet en bois, et deux poignées permettent de se saisir de la kora pour en jouer. C'est donc un instrument complexe et délicat.
TSA, douanes et compagnies aériennes dans le viseur
Après une tournée à Miami, Los Angeles, Chicago et New York, Ballaké Sissoko rentre chez lui à Paris. Il découvre en ouvrant son étui une kora en pièces détachées, accompagnée d'une note des douanes américaines qui rappelle que "la sécurité intelligente fait gagner du temps". Toujours est-il qu'il faudra des semaines au musicien pour retrouver l'équivalent de sa kora sur mesure. L'artiste s'émeut du crime et de ses conséquences sur Facebook.
C'est là que tout s'enchaîne: l'indignation gagne le Mali et des journalistes du monde entier interpellent la TSA, l'Administration de la Sécurité des Transports. Cette agence américaine a été créée après les attentats du 11 septembre pour assurer la sécurité dans les transports. Celle-ci a cependant affirmé ne pas avoir ouvert l'étui de l'instrument. Les regards se tournent désormais vers la compagnie aérienne.
Un cas parmi d'autres
Cette histoire a ému d'autres musiciens à qui il est arrivé le même genre de mésaventures, comme le saxophoniste jazz américain Branford Marsalis. En novembre dernier, il publie sur son compte twitter des photos de son instrument endommagé par la TSA.
En 2006, le pianiste polonais Krystian Zimerman est l'un des premiers à faire les frais des nouvelles mesures de sécurité post-11 septembre. Son piano, un Steinway modifié par ses soins, est tout simplement détruit par la TSA car la colle ressemblait à un explosif.
Il y a aussi la mésaventure du flûtiste canadien d'origine marocaine Boujemaa Razgui, qui a perdu une dizaine de flûtes en bambou qu'il avait fabriquées. Il les avait mises dans un sac avec des bambous destinés à la fabrication de nouvelles flûtes. Or, il est interdit d'importer des plantes aux Etats-Unis. La douane n'a pas fait dans le détail: tout à la poubelle.
Fâchés de voir leurs guitares cassées après un vol, les membres du groupe de country Sons of Maxwell ont composé une chanson nommée "United Breaks Guitars" (United casse les guitares), dédiée à la compagnie United Airlines.
Les douanes et les compagnies d’aviation seraient-elles racistes?
Un musicien malien, un jazzman afro-américain et un Canadien d'origine marocaine. Les douanes choisiraient-elles quels instruments abîmer en fonction de leur origine, et surtout en fonction de celle de leur propriétaire? Pour le management de Ballaké Sissoko, cela ne fait aucun doute: "Auraient-ils fait la même chose à un Stradivarius?", s'indigne le communiqué publié sur la page Facebook du musicien.
Peut-être y a-t-il une part de vérité dans cette question. En revanche, le pianiste polonais ne ressemblait ni de près ni de loin à un djihadiste. Idem pour les membres de Sons of Maxwell, qui sont blancs comme neige.
Un passeport pour instruments de musique
Au Canada, le lobby de la musique a fait introduire l'an dernier des règles spécifiques concernant l'intégrité des instruments de musique transportés par avion.
En Suisse, l'OSAV, l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires, délivre un passeport pour instrument de musique. Fort pratique lorsque votre précieux instrument est composé de pièces en matériaux protégés comme l'ivoire, le bois de Pernambouc ou encore l'ébène de Madagascar.
Antoine Droux/ms