En 1927, Ravel commence à orchestrer le recueil pour piano "Iberia" d’Albeniz, afin d’en faire une partition symphonique. Mais il apprend que les droits d’adaptation ne sont en fait pas disponibles: se dresse alors devant lui un mur de lois, contrats et règlementations qui lui interdisent de continuer. Le compositeur est fâché, mais il a une autre idée: une mélodie aux courbes andalouses, comme sa mère.
Une mélodie, un rythme, un accord
"Ne trouvez-vous pas que la mélodie a quelque chose d’insistant?" demande Ravel à un ami. "Je vais essayer de la répéter un bon nombre de fois sans aucun développement, en graduant de mon mieux mon orchestre."
L’idée est radicale: Un rythme constant en deux mesures, celui du boléro. La fin de la première mesure suspend, la fin de la deuxième relance. La mélodie ne change pas non plus au fil du morceau. Quant aux accords, en exagérant un peu on pourrait dire qu'il y en a… un seul!
L'orchestration, le point fort de Ravel
"Boléro", c’est d'ailleurs un long gonflement progressif qui aboutit à un orchestre. Il part de la caisse claire en guise de moelle épinière. Puis l'instrument le plus aérien qui soit, la première flûte, inaugure la mélodie. Les altos et les violoncelles pincent alors leurs cordes comme les guitares espagnoles pour les accompagner.
>>A regarder et écouter: "Boléro" de Maurice Ravel, interprété par The West–Eastern Divan Orchestra dirigé par Daniel Barenboim lors des Proms 2014 à Londres
Durant 15 minutes, tous les instruments de l’orchestre vont rejoindre la danse, les uns après les autres. Lorsqu'il sature, c’est la rupture, puis l’explosion. Cet orchestre XXL s’érige alors, plein de fureur. Grosse caisse, cymbales puis tam-tams: le chemin parcouru par "Boléro" est géographique. Il va du tambour des casernes françaises jusqu'au tam-tam africain. C'est aussi celui du retour à la force brutale de la nature, de la flûte la plus gentille jusqu'à la grosse caisse la plus dure. Une fois le voyage achevé, l’orchestre, comme un seul homme, s’écroule.
Surpris par le succès de "Boléro", Ravel ironise: "Je n’ai écrit qu'un chef d’œuvre dans ma vie, et il n’y a pas de musique dedans." Pourtant, sans concessions, il y a la vie.
ms
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