Deux cailloux volcaniques posés au large du Cameroun. Deux îlots baignés par les eaux du Golfe de Guinée. Voici Sao Tomé & Principe, ses fèves de cacao, ses grains de café et… sa musique. Beaucoup de musique pour un pays confetti: semba, merengue, kompass, soukouss, coladeira. Vous ne connaissez pas? Imaginez de la musique à danser, des rythmes très chaloupés, une joie créole, des percussions malicieuses et des guitares qui tricotent des mélodies irrésistibles. A l'écoute, ça vous évoquera l'Angola ou du Cap Vert, deux autres proches anciennes colonies portugaises d'Afrique de l'Ouest.
Ces trésors musicaux, les enregistrements des groupes Africa Negra ou Conjunto Mindelo, les 45 tours de Pedro Lima ou de l'Agrupamento Da Ilha, on pouvait les trouver dans une salle poussiéreuse de la radio nationale de Sao Tomé & Principe. Ils faisaient aussi le bonheur de Thomas Bignon, un DJ français passionné de musiques lusophones, prompt à farfouiller les cartons du Marché aux puces de Lisbonne, à la recherche de perles oubliées venues d'Afrique ou du Brésil, posant mille et une questions aux immigrés de l'ex-métropole coloniale.
Une musique trop belle pour être oubliée
Cette musique était simplement trop belle pour rester dans son purgatoire d'oubli. La voici rééditée dans une superbe compilation en format vinyle, CD et digital par les Genevois du label Bongo Joe Records. Son titre: "Léve Léve". L'indication d'un volume 1 laisse présager une suite à cette aventure discographique.
"Thomas Bignon nous a contactés par affinité avec notre label, explique le Genevois Cyril Yeterian de Bongo Joe. Nous avons pu lui payer un voyage sur place afin qu'il retrouve les musiciens et qu'on puisse également les payer pour ces enregistrements qui datent des années 1970 et 1980. A l'époque, un musicien enregistrait à la radio nationale, seul studio équipé dans l'île. Il recevait un billet pour solde de tout compte."
Depuis quelques années, on assiste à une forme de ruée vers le Sud. Les bacs des disquaires se remplissent d'enregistrements oubliés venus de Lagos, de Tombouctou ou de Casablanca. Particularité: le format vinyle est roi, YouTube abrite les versions digitales et les labels sont dans l'immense majorité des cas implantés en Europe et aux Etats-Unis. On peut saluer cette reconnaissance tardive des musiques pop du Sud. On peut se réjouir d'entendre des sons inédits dans les clubs des grandes villes occidentales. On peut aussi se demander si cela ne relève pas d'une forme de néo-colonialisme.
Rééditer avec éthique
"Je ne sais pas moi-même si je dois me réjouir ou non face à cette vague. Certains labels n'existent que le temps de rééditer un 33 tours spécifique. Les droits ne sont pas toujours payés et les musiciens ne savent parfois même pas que leurs enregistrements sont à nouveau disponibles", note Cyril Yeterian. Pour le Genevois, lui-même musicien dans le duo Cyril Cyril, les questions d'éthique sont importantes. "Bongo Joe a précédemment édité des compilations de Sega, la musique de la Réunion et des îles du Pacifique. Il était très important pour nous d'avoir un contact avec les musiciens, de leur rendre hommage, y compris financièrement pour cette musique formidable créée il y a vingt ou trente ans. La plupart de ces enregistrements s'étaient en quelque sorte volatilisés. On ne pouvait pas les trouver sur le net, faute d'avoir été digitalisés, et ils dormaient dans des collections privées. En rééditant ces musiques, nous avons rendu accessible un passé culturel à toute une communauté. C'est une responsabilité et un impact incroyable pour une petite maison de disque à l'autre bout du monde, ici, en Suisse."
Bongo Joe n'est d'ailleurs pas uniquement tourné vers l'exotisme: le label réédite également des musiques suisses des années 1980, dont une rareté pop et synthétique de la Fribourgeoise Carol Rich. Et le label n'œuvre pas que dans la nostalgie. En témoignent les sorties récentes du groupe underground genevois Massicot, de la chanteuse kurde Derya Yldirim ou encore du jeune groupe Madalitso, venu du Malawi.
Thierry Sartoretti/ld