Dans l’appartement du guitariste Charlie Bernath, le voisin Stéphane Blok chante les écrans que l’on regarde et qui nous regardent. C’est un immeuble assez magique, explique le chansonnier, l’un des compositeurs de la récente Fête des Vignerons: "Cela fait des années que je vis ici, La Gale partage le même palier. Les murs ne sont pas épais, il y a des porosités". Dans cette coopérative, les loyers sont bas, "ce n’est pas un hasard s’il y a plein d’artistes qui vivent ici, on a peu de moyens". Le duo entre Charlie Bernath et le musicien d’origine chaux-de-fonnière Louis Jucker est baptisé "Les frères du palier": "On vit comme dans une colocation. De luxe. Parce qu’on a chacun notre appartement".
Un immeuble à Lausanne, laboratoire des musiques vivantes
Grand Format Reportage
Introduction
C’est une coopérative au cœur de Lausanne où des musiciens comme Emilie Zoé, La Gale, Louis Jucker, Stéphane Blok vivent et travaillent. Le 28 février à la radio, durant 3h30 de musique à même le palier, les scènes improvisées se sont démultipliées pour parler de création, d’échanges, de résistance.
Chapitre 1 Le salon
Chapitre 2 La cuisine
La rappeuse et comédienne La Gale joue pour la première fois "Mon ombre", un extrait du mini-album qu’elle est en train de peaufiner dans l’immeuble d’à côté. Elle a conquis la cuisine de Louis Jucker, dont le centre est occupé par une douche portative. "Ici, ça foisonne de projets, on parle souvent entre voisins du fait qu’il faut un jour que l’on bétonne quelque chose ensemble. Eh bien, c’est ce soir". Elle ne croit pas en les catégories, les genres, il y a ici des musiques qui procèdent du hip-hop, de l’expérimental, de la folk ou du post-punk, elles sont toutes pratiquées dans le même esprit défricheur, bonhomme, généreux.
Chapitre 3 Le bureau
A deux pas de là, dans le même appartement, Louis Jucker a sorti ses valises. Depuis des mois, il fabrique des instruments de musiques, de petites machines imaginaires qui servent d’instruments. C’est une commande du Nouvel Ensemble Contemporain (NEC) de La Chaux-de-Fonds qui va fêter ses vingt ans. Les outils crépitent, ils produisent des nuages de bruit dans l’air chaud, ils ont des lumières intermittentes, des voyants qui rappellent les savants fous. Cette maison n’est pas seulement un lieu de concert, elle est un immense atelier. Le 13 mars, au Temple allemand, Jucker créera avec le NEC sa "Suitcase Suite".
Chapitre 4 Le galetas
Il faut marcher sur la pointe des pieds, se plier en deux, puis avancer sur un parquet qui grince pour entrer dans le galetas où le duo d’Emilie Zoé et Christian Garcia Gaucher s’apprêtent à jouer. Ils sortent en ce moment un album basé sur un ciné-concert. Ce sont des chansons qui paraissent toujours sortir d’un brasier. Le 28 mars, ils présenteront cette musique lors de la Hummus Fest à la Case-à-Chocs de Neuchâtel. Autour de Jona Nido, qui gère le label Hummus, c’est une manière de famille qui se constitue. Emilie Zoé: "On est des gens qui cherchons des solutions personnelles pour reproduire le son que nous avons en tête, c’est peut-être celui qui nous unit".
Chapitre 5 La cage d'escalier
Sur l’escalier de bois vieux, les techniciens de la RTS ont disposé une tête binaurale – un outil légèrement angoissant capable de reproduire l’audition humaine. Le contrebassiste Dragos Tara, finaliste du Grand prix suisse de musique comme plusieurs autres locataires de la coopérative, reprend dans la cage un morceau de Tanita Tikaram. Il y a aussi des musiciens expérimentaux, Noëlle Reymond, Benoît Moreau, qui ont fabriqué des luths. Il y a quelque chose de l’esprit bricoleur, presque de la cuisine canadienne, dans ces territoires improvisés.
Chapitre 6 Une utopie créative
On pense à "La Vie mode d’emploi" de Georges Perec devant cet immeuble-monde, des histoires cumulées et des chants qui semblent se frotter les uns aux autres. Dans ce pays dont on dit qu’il est fait d’individualistes, cette nuit sur le palier raconte autre chose. Presque une utopie créative.