Une paire de lunettes noires posée sur une moustache corbeau et surmontée d'un keffieh rouge et blanc. Roi de la musique de mariage syrienne, Omar Souleyman est immédiatement reconnaissable. Il change parfois de djellabah, passe d'un tissu bleu foncé au gris, voire au blanc, mais son succès international s'est construit sur un seul instrument: le synthétiseur arrangeur oriental de son désormais ex-comparse, Rizan Said.
Un synthétiseur arrangeur oriental? Imaginez un gros clavier surmonté d'un tableau de bord façon vaisseau de Star Wars. Visuellement, c'est comme un synthétiseur d'ici, mais à l'intérieur vous avez tout l'instrumentarium d'un orchestre arabe complet et de quoi jouer, à vous tout seul, les mélopées et les rythmes en vogue de Casablanca à Riad en passant par Sarajevo et Istanbul.
"Saz U Dilan", un petit bijou
Dans les mains expertes de Rizan Said, claviériste kurde de Syrie, l'engin est devenu l'un des plus formidables moteurs d'une sorte de musique électro orientale à l'efficacité imparable. En France, le groupe Acid Arab qui se rêve en Daft Punk de l'Orient, s'est empressé de louer les services de Rizan Said et de son synthétiseur arrangeur.
L'homme propose aujourd'hui un album solo ("Saz U Dilan", sur le label allemand Akuphone et bien sûr sur toutes les plateformes de téléchargement ou de streaming) et ce petit bijou nous rappelle que la musique de l'autre côté de la Méditerranée n'est pas restée fixée sur les années d'or de la grande Om Kalsoum ni même sur le son raï de Khaled.
"Maghreb K7 Club", une compilation venue d'une autre planète
Un autre album paru ces jours-ci semble presque venir d'une autre planète tant les sons paraissent délicieusement datés et maladroits. C'est cela même qui fait tout le charme de la compilation "Maghreb K7 Club" parue chez les Genevois de Bongo Joe, une officine suisse qui n'a de cesse de dénicher d'invraisemblables et inattendues perles de la sono mondiale. On y découvre les pionniers de la scène musicale lyonnaise immigrée des années 1980 et 1990: Nordine Staifi ou encore Chabati Le Jeune. Des chebs (des gamins) qui enregistraient leur raï sur de simples cassettes vendues au porte-à-porte et sur les marchés dans la banlieue lyonnaise.
"Magrhreb K7 Club", c'est une plongée dans la France PLM (Paris-Lyon-Marseille) des années Carte de Séjour, le premier groupe du chanteur Rachid Taha. Là aussi, on y entend des synthés, mais faute d'argent, les musiciens devaient se contenter de matériel bon marché occidental à l'époque où les grands fabricants de claviers (Yamaha, Korg, Roland) créaient leurs premiers synthés orientaux.
La différence entre un clavier d'ici et un clavier de là-bas? Nulle à l'œil, complète à l'oreille. "Un clavier oriental est capable de jouer les quarts de ton et les modes de la musique orientale quand bien même le clavier apparaît toujours comme une suite de tons et de demi-tons", explique Vincent Borcard du SMEM, le Musée et centre international des instruments électroniques sis à Fribourg, dont la caverne d'Ali Baba recèle quelque 5'000 machines de toutes époques et obédiences.
Un marché qui pèse un poids certain
Marché de niche, le synthé oriental? Pas tant que ça. "Nous en vendons en Suisse aux musiciens des communautés nord-africaines, turques ou encore balkaniques, explique Stéphane Abbt du magasin d'instruments The Works à Carouge. En Suisse, le marché est modeste, mais mondialement, il pèse un poids certain."
Les amateurs de musique traditionnelle ou classique arabe regretteront cette occidentalisation de leur musique préférée. Celles et ceux qui aiment danser ne pourront pas résister à l'invraisemblable groove du sorcier Rizan Said qui semble avoir plus des mains qu'une divinité hindoue lorsqu'il joue sur ses claviers. Si les concerts sont aujourd'hui au point mort, guettez sa venue à l'automne dans les clubs.
Thierry Sartoretti/aq
Rizan Said, "Saz U Dilan", Akuphone.
"Maghreb K7 Club", les disques Bongo Joe.