Il a connu le succès en 1965 déjà. Avec "Aline" et "Les Marionnettes", Christophe imposait sa griffe sur la chanson yé-yé française, avec un brin de guimauve dans le texte et les musiques dont il ne se départira jamais vraiment malgré ses nombreuses expérimentations et hybridations sonores futures.
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Toujours autant passionné de sons à 74 ans, le chanteur avait continué de triturer son piano, ses claviers et machines au coeur de la nuit, dans son appartement du quartier de Montparnasse à Paris. Au milieu de son antre qui ressemble à une pièce de brocanteurs où cohabitent des radios fifties, des photos noir-blanc de Bashung ou Elvis, un juke-box et des tableaux naïfs entre autres.
Cet appartement, on a eu la chance de le découvrir une nuit de l'automne 2010, comme beaucoup d'autres journalistes, à l'occasion d'une interview pour un média confrère. Son ami le trompettiste franco-suisse Erik Truffaz nous avait dit que nous allions vivre une expérience extraordinaire. A 2h30 du matin, on y était logiquement entré avec en tête son refrain "Les portes de la nuit ne sont jamais fermées à clé" et cela avait effectivement tenu à la découverte d’un musée fabuleux, disposé entre un piano et une grande table de mixage où Christophe avait pour habitude d’expérimenter des sons et compositions. Dans ce capharnaüm figurait aussi cette trompinette qui aurait appartenu à Boris Vian et dans laquelle Truffaz soufflait doucement lors de ses visites à celui qu'il vénère depuis son adolescence.
S'il était un homme de mots, Christophe était avant tout un être de sons. "C'est vrai qu'aujourd'hui, je suis riche en sons que j'ai attrapés sur mon smartphone notamment: de la mer, des oiseaux, de la pluie sur le bitume, des bruits à Paris comme ceux des manifestations ou du brouhaha des bistrots. Ces sons m'inspirent souvent des images pour des chansons. (...) Il y a ainsi le son des corneilles ou de mon fauteuil qui grince qui apparaissent dans "Comme si la terre penchait", détaillait Christophe dans une récente interview à la RTS.
Pauses volontaires et renaissances artistiques
Depuis son album de retour, "Bevilacqua" (1996), il était même parvenu à trouver un ton plus personnel grâce à des chansons enfin signées par ses soins et souvent labyrinthiques où son univers musical s'est fait plus électro.
Christophe, né Daniel Bevilacqua en région parisienne, avait pourtant d'abord eu la passion du blues et du rock avant d'entrer en chanson. Il n'imaginait ainsi jamais "se passer d'Elvis, première période". Pourtant dans son répertoire, les morceaux relevant de ce style se comptent à peine sur les doigts d'une main.
Cinquante-cinq ans après ses premiers tubes, ce Christophe qui s'est distingué par plusieurs pauses volontaires dans son parcours a continué de créer inlassablement et est passe aisément de crooner désabusé à rockeur progressiste ou dandy excentrique. Récemment, il avait ainsi mis en musiques avec plein de nappes synthétiques les propos tenus par le plasticien suisse Olivier Mosset lors d'une exposition datant de 2017. Un processus auquel il était roué puisqu'il avait déjà orchestré ses propres interviews.
Les albums cultes "Les Paradis perdus" et "Les Mots bleus"
L'interprète du "Beau bizarre", auteur des albums cultes "Les Paradis perdus" (1973) et "Les Mots bleus" (1974) puis plus de vingt ans plus tard du fascinant "Bevilacqua" (1996) en mode électronique et du sidérant "Comm’si la terre penchait" (2001), aimait plus que tout se laisser porter par le beau hasard des rencontres. Curieux de tout, passionné de formes via architecture et design ou de cinéma et d'automobiles, il préférait se frotter à l'inconnu plutôt qu'explorer des territoires apprivoisés. L'an dernier, celui qui a notamment collaboré avec le synthétique Jean-Michel Jarre ou le radical rockeur Alan Vega de Suicide avait publié "Christophe Etc".
Un album où il revisitait et relustrait musicalement son répertoire en compagnie d'une multitude d'invités, de Camille ("Petite fille du soleil") à Etienne Daho ("Petit gars") via Eddy Mitchell ("Parfum d'histoires") ou Yasmine Hamdan ("La Man"). Et auquel il avait donné suite dans un second volume en décembre 2019 avec entre autres les apparitions vocales de Arno et Katerine. Quand bien même Christophe affirmait détester "les duos conventionnels". Ici, il avait donc préféré des collaborations où chaque invité trouve une place originale plutôt que de les convier à alterner de simples couplets-refrains. Soit encore pour lui cette éternelle quête d'inédites nuances esthétiques et cette éternelle saveur des nouvelles rencontres.
Olivier Horner