L’épisode pilote de ce feuilleton hors-normes, souvent imité, jamais égalé, a été diffusé pour la première fois à la télévision américaine le 8 avril 1990 sur la chaîne ABC. Une véritable révolution pour les spectateurs de l’époque, qui ont accueilli avec enthousiasme cette production, annoncée initialement comme une intrigue criminelle, mais qui ne ressemblait à rien d’autre.
Son intrigue peut se résumer en une question: qui a tué la jeune Laura Palmer? Le temps de deux saisons et 30 épisodes, David Lynch et le scénariste Mark Frost nous invitent dans la petite ville fictive de Twin Peaks, à la rencontre de ses habitants et de ses mystères. Un décor en apparence banal de province américaine, dans lequel Lynch et Frost se sont amusés à détourner tous les codes de la fiction, à tel point qu’il est aujourd’hui encore difficile de mettre une étiquette sur "Twin Peaks": est-ce une série policière fantastique, un feuilleton à l’eau-de-rose, une comédie noire surréaliste?
Pendant musical
Ce véritable bouleversement se retrouve également dans le traitement de la musique d’Angelo Badalamenti, le compositeur qui accompagne Lynch depuis 1984. On lui doit notamment les bandes originales de "Blue Velvet", "Sailor & Lula", "Lost Highway" et "Mulholland Drive". Autant de films qui lui ont permis de développer un style très personnel, atmosphérique et mélancolique, qui est devenu le pendant musical idéal aux géniales visions de David Lynch.
Un thème, un personnage
Une des grandes qualités de la musique de "Twin Peaks", ce sont des motifs facilement identifiables, qui sont associés à certains personnages ou à certaines situations, au point de devenir des acteurs à part entière. Alors que la série brasse tous les genres, Badalamenti n’hésite pas à les prendre au pied de la lettre, quitte à parfois verser dans le cliché, comme avec le thème de Laura Palmer. Mais ce parti pris du premier degré fonctionne à merveille avec l’univers atypique de "Twin Peaks".
On comprend vite, au fil de l’enquête et des épisodes, que la ville de Twin Peaks regorge de secrets inavouables et de personnages peu fréquentables, à tour de rôle grotesques ou inquiétants. Comme souvent chez David Lynch, les apparences sont trompeuses et le mal rôde tout près. Pour compliquer l’intrigue, on découvre aussi, par petites touches, l’influence manifeste d’un monde invisible, dans lequel de rares initiés transitent, semble-t-il, au gré de leurs rêves et de leurs visions, et qui inspire à Lynch quelques scènes surréalistes qui font soudainement basculer "Twin Peaks" dans le genre fantastique, entre aberrations spatio-temporelles et créatures étranges.
Angelo Badalamenti, pour accompagner cet environnement onirique et déstabilisant, puise dans une palette de sons dissonants et livre la bande-son d’un cauchemar.
Sans oublier les chansons
David Lynch accorde également une place importante aux chansons dans ses créations. Et pour les besoins de "Twin Peaks", il se tourne vers la chanteuse Julee Cruise, qu’il connaît bien pour avoir travaillé avec elle sur le film "Blue Velvet", et produit son premier album avec Angelo Badalamenti.
Il lui emprunte donc tout naturellement quelques titres et propose même à Julee Cruise de les interpréter dans la série. On trouve alors la chanteuse en personne – et sa douce voix inimitable! – au détour de quelque épisodes sur la scène du Bang Bang Bar, la salle de concert prisée par les noctambules de Twin Peaks.
De nombreuses reprises
Phénomène rare pour une bande-son de série télévisée, le disque qui regroupe des extraits et des chansons de la musique de "Twin Peaks" a été un carton commercial, et la plupart des titres ont fait ensuite l’objet de reprises par de nombreux artistes. Pendant un temps, ses textures sonores et son recours aux mélodies mélancoliques ont même une influence notable sur d’autres productions à succès (on pense notamment à la musique de "X-Files"). Mais parmi elles, aucune ne parviendra à reproduire à l’identique la saveur de cette série qui a tout réinventé en deux saisons.
En 2017, David Lynch revient avec une troisième saison, que plus personne n’osait espérer. On retrouve aux commandes de la musique le fidèle Angelo Badalamenti, et avec lui ses compositions inimitables.
Le compositeur le dit lui-même: "Twin Peaks" est le grand tournant de sa carrière, l’œuvre qui a défini toute la suite de son travail. On lui donne volontiers raison, d’autant plus qu’on ne reverra jamais à la télévision pareil mariage, aussi original et audacieux, entre images et musique.
Pascal Knoerr/mh