Spécialiste de la musique contemporaine, en particulier à l'opéra, Barbara Hannigan s'est fait connaître en tant que soprano dans de très nombreuses créations de compositeurs comme Pierre Boulez, Pascal Dusapin ou encore Henri Dutilleux. Ses interprétations très engagées physiquement sont devenues sa marque de fabrique.
C'est une rencontre décisive qui a lancé sa carrière au début des années 1990. Après avoir passé sa jeunesse en Nouvelle-Ecosse, la Canadienne déménage à Toronto à l'âge de 17 ans et devient l'élève de Mary Morrison. Décelant chez la jeune soprano un réel potentiel, sa professeure lui offre de nombreuses opportunités pour décrocher des rôles.
Au début de sa carrière de soliste, Barbara Hannigan a beaucoup chanté du classique et même du baroque, mais elle s'est rapidement concentrée sur des oeuvres du XXe et XXIe siècles. "A un moment donné, j'ai réalisé qu'il n'y avait pas beaucoup de chanteuses lyriques qui aimaient la musique contemporaine autant que moi" explique-t-elle à la RTS. Parmi les rôles qui l'ont marquée, elle cite "Lulu" d'Alban Berg, un des plus difficiles qu'elle ait eu à interpréter mais qui a été "une drogue fantastique".
Soprano et cheffe sur l'album "La Passione"
En 2011, la chanteuse décide de fonder et de diriger le Ludwig Orchestra, devenant ainsi l'une des trop rares cheffes d'orchestre reconnues sur la scène internationale. Et c'est avec cet orchestre qu'elle vient de sortir "La Passione". Un titre qui fait bien sûr référence au surnom donné à la 49e Symphonie de Haydn qui figure sur le disque.
Dans cet album, où elle est à la fois soliste et cheffe d'orchestre, on découvre tout d'abord la pièce "Djamila Boupacha" de Luigi Nono (1962). Une oeuvre qui fait référence à la militante algérienne du FLN qui a été arrêtée en 1960 par l'armée française, torturée, condamnée à mort et finalement libérée en 1962. Un personnage qui avait marqué son époque et dont Picasso avait fait un portrait.
Barbara Hannigan avoue qu'elle ne connaissait pas Djamila Boupacha avant qu'on lui demande de chanter cette oeuvre il y a quelques années. Elle l'a donc découverte d'abord à travers la musique de Nono avant de faire des recherches sur la militante algérienne.
Une symphonie de Haydn qui ne doit rien au hasard
Deuxième oeuvre présentée sur ce disque, la 49e Symphonie de Haydn (1768) peut surprendre l'auditeur par ses tempi ou ses dynamiques. "On peut être spontanée ou prendre des libertés dans la musique, mais seulement après avoir beaucoup étudié et préparé l'œuvre" explique la cheffe d'orchestre. Une version qui ne doit donc rien au hasard. "Quand je prépare une symphonie de Haydn, je note tous les coups d'archets dans les partitions et je prépare toutes les dynamiques et les articulations en amont. Puis, au moment où j'entends l'orchestre jouer, parfois je change encore certaines choses. L'émotion arrive avec la préparation et l'intelligence".
Quatre chants sur la mort
Dernière oeuvre présentée sur ce disque, les "Quatre chants pour franchir le seuil" (1998) que Gérard Grisey a composés sur des textes qui évoquent la mort, provenant des civilisations chrétienne, égyptienne, grecque et mésopotamienne.
Dans cette version, la Canadienne chante et dirige à la fois. "Avec cette œuvre, ce n'était pas possible d'enregistrer d'abord l'orchestre et de chanter ensuite. C'était obligatoire de chanter et diriger sur la même prise". Un choix qui a rendu l'enregistrement compliqué, mais qu'elle ne regrette pas. "Je pense que c'est quasiment impossible à réaliser en live lors d'un concert. Mais c'était possible de le faire pour un enregistrement. Ça donne l'urgence, l'émotion et le drame de ce moment où il faut franchir le seuil entre la vie et la mort".
Et Barbara Hannigan de conclure: "C'était vraiment une expérience incroyable pour l'orchestre Ludwig et pour moi-même d'avoir fait ce cheminement ensemble".
Propos recueillis par Anya Leveillé
Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente
"La Passione", Barbara Hannigan, Ludwig Orchestra, AlphaClassics