Les musiques du monde arabe sont un mystère pour l'Occident. On croit les connaître, elles nous échappent aussi insaisissables et surprenantes que les improvisations vocales de la diva Oum Kalsoum.
Les musiques du Monde arabe chaloupent sur des rythmes et des logiques qui ne sont pas celles d'ici. Un exemple: cette vidéo de mariage du chanteur syrien Omar Souleyman. Ça se passe dans la rue. Avec génératrice, sono façon karaoké, chaises en plastique et invités qui dansent en ligne. Postée sur Youtube en 2017, la vidéo "Ya Bnayya" totalise près de 26 millions de vues! Le plus grand mariage de la planète s’est passé au cœur de la Djezireh syrienne et nous avons manqué la noce.
Naguère ringard dans son propre pays avec sa djellabah, sa moustache teinte et ses lunettes noires, Omar Souleyman est désormais une star planétaire. Joué dans les clubs techno de Los Angeles à Berlin et désormais redécouvert de Marrakech à Oman alors que la pop qui marche est désormais chantée avec des inflexions émiraties.
Un livre musical signé par une politologue
Ce mystère oriental est en passe d'être dévoilé grâce à un livre: "Musiques du Monde arabe, une anthologie en 100 artistes", à paraître le 30 juin. Ce livre est bien plus qu'un livre: c'est un plan, un guide, une boussole, le phare d'Alexandrie. On doit son existence à une politologue française, Coline Houssais, passionnée de cultures et de musiques arabes. Sa curiosité et son appétit de découvertes dépassent largement son champ d'expertise.
Il a fallu pourtant trancher: les musiques du Monde arabe se limiteront aux membres de la Ligue arabe, soit 22 pays. Et tant pis si les Kurdes, les Ottomans et certaines parties des Balkans ont plus d’un lien historique et musical avec ce sujet immense. Cette anthologie comprend deux parties. On y entre ignare, on en sort illuminé.
Il y a d'abord 70 pages, pour comprendre l’histoire et la géographie de ces musiques, leurs enjeux culturels et politiques, leurs développements à travers les aléas de l’Histoire. Pour le meilleur lorsqu’il s’agit de l’invention de la radio ou de la cassette audio. Pour le pire lorsque la guerre vient brouiller cartes et populations, assassinant au passage des artistes (RIP Cheb Hasni, Matoub Lounes).
Ensuite se déroulent plus de 250 pages pour découvrir une centaine d'artistes. La qualité du bouquin de Coline Houssais est de tromper l'adage "qui trop embrasse mal étreint". Enfin un livre qui aborde ce sujet sans se concentrer sur une seule région (par exemple le Maghreb si proche de la France) ou se contenter des acquis (les grands interprètes de Kalsoum à Fairuz en passant par Reinette l'Oranaise ou Warda) ou ne considérer que le beau, le savant, le soi-disant authentique, qui plaît tant aux ethnomusicologues, aux attachés culturels d’ambassade ou à celles et ceux qui en sont restés aux clichés de l’orientalisme.
Ouvrage savant et passionnant
Dans "Musiques du Monde arabe", on passe des psalmodies du Coran à la trap marocaine, de l'oud classique irakien à la pop saoudienne, le tout avec les noms des artistes dans les deux calligraphies (européenne et arabe) et un lexique en sus.
Cet ouvrage est savant. Il n'est jamais barbant, toujours passionnant. Depuis le partial et militant ouvrage de Hachlaf, "Anthologie de la musique arabe", paru en 1993, autant dire voilà un siècle, on osait plus espérer un bon ouvrage sur le sujet. Le voici enfin et il ne nous reste plus qu’à farfouiller dans les coins et recoins de Youtube, LE salon d’écoute des musiques arabes. Pour y découvrir des pépites et animer nos Mille et une nuits. A l'image de "Alf Leila Wa Leila", si bien chantée par Oum Kalsoum.
Thierry Sartoretti
Coline Houssais, "Musiques du Monde arabe, une anthologie en 100 artistes", Editions Le Mot et le reste, 300 pages. Parution le 30 juin.