Tout un symbole, cette photographie. Antonio et Fradique posent en chemises et bijoux créoles. Leurs jambes sont cachées par une végétation tropicale, leur tête se trouve au nord sur fond de forêt de feuillus. L'Afrique et l'Europe réunies dans une même musique. Dans une même fratrie. Voici l'histoire d'une migration réussie. Enfance à Sao Tomé-et-Principe, cette ex-colonie portugaise, archipel lilliputien, planté au large du Gabon. Etudes en vidéo et multimédia à Lisbonne. Passage en France, puis retour dans la métropole lusophone si dynamique musicalement.
Voici Calema, fantastique duo vocal initié dès l'enfance par les frères Mendes Ferreira. Aujourd'hui, le cadet, Antonio a 28 ans et l'aîné Fradique 33 ans. Et chacun possède une voix d'or.
Une culture métissée
"A Nossa Vez" a été la chanson portugaise la plus visionnée depuis que YouTube existe: 77 millions de vues pour cette histoire d'amour d'enfance retrouvée entre une fille à la peau claire et un beau gars noir dans une banlieue lisboète. Un conte? Encore un symbole. Et un message: "Nous nous considérons comme portugais ainsi bien que santoméens. Le Portugal d'aujourd'hui, c'est une culture métissée, des gens venus d'ailleurs, notamment des anciennes colonies. Et c'est précisément cette fusion qui nourrit la musique et rend passionnante la scène culturelle portugaise", expliquent Antonio et Fradique.
Ce n'est pas la chanteuse cap-verdienne Mayra Andrade qui les contredira. Elle qui a également quitté Paris pour retrouver Lisbonne et enregistrer là un bijou d'album taillé dans les nouvelles tendances musicales africaines. Et que l'on songe aussi à l'énergique et fantastique chorégraphe Marlene Monteiro Freitas dont les créations s'abreuvent à cette vivifiante source créole.
"Te amo", 18 millions de vues sur YouTube
"Nous avons débuté sur les places et de village, sur les plages, à l'âge de 12 ans. On chantait les musiques de Sao Tomé-et-Principe tout en rêvant de chansons brésiliennes. Les Etats-Unis? On n'y pensait pas", se souvient Fradique. Dans le clip de la chanson "Te amo", encore un tube avec près de 18 millions de vues sur YouTube, on peut voir les deux frangins filmés en super 8. Nous sommes au siècle passé, deux beaux gosses chantent à la tierce un hommage à l'artiste Camilo Domingos qui venait de décéder. Les musiques de Sao Tomé: semba, merengue, kompas, soukouss, kuduro… tout ce que fait rouler les hanches du côté des Angolares.
Les dernières secondes de "Te amo" se veulent aussi un hommage: aux musiques du sud et aux humains qui les ont portées, jouées, chéries, du groupe Africa Negra (au fait plongez-vous dans la compilation "Léve Léve" récemment publiée par le label genevois Bongo Joe, en prise directe avec l'archipel de Sao Tomé et Principe, c’est une bombe à danser) à Cesaria Evora et Bonga, embrassant Cap-Vert, Angola, Guinée-Bissau et Mozambique, les anciens territoires africains du Portugal.
Calema sont des stars dans le monde lusophone. Leur musique est une sorte de soul tropicale (bien) roulée dans les vagues du Golfe de Guinée. Leur nom désigne d'ailleurs les ondulations de la mer.
Eux qui courent les salles prestigieuses (Liceo de Lisbonne, Olympia de Paris) sont déjà venus en Suisse... "pour un festival du chocolat", rigole Antonio. "On a adoré!". Pour mémoire Sao-Tomé-et-Principe est l'un producteurs majeurs de… fèves de cacao. Il pourrait bien devenir le diapason des musiques lusophones. Une belle reconnaissance pour ce petit pays d'à peine 200'000 habitants.
Thierry Sartoretti/aq