Le nom de Richard Wagner est le plus souvent associé à Bayreuth, où se déroule chaque été un festival célèbre. Mais le compositeur a également entretenu avec la Suisse des liens privilégiés. Notre pays fut pour lui non seulement une terre d’asile, mais aussi une véritable source d’inspiration.
Chapitre 1
La Suisse, terre d'asile
Entre 1849 et 1872, entre le moment où Wagner, encore méconnu, quitte Dresde et le moment où il s’installe à Bayreuth, au sommet de sa gloire, s’écoulent treize ans, un intervalle relativement long au cours duquel Wagner séjourne en Suisse.
Plus que tout autre romantique, Wagner a passé sa vie sur les routes à sillonner l’Europe, autant pour défendre sa musique sur les scènes de l’époque que pour fuir son pays, l’Allemagne, où ses idées révolutionnaires et novatrices et son comportement avant-gardiste pour l’époque ne sont pas toujours bien perçus, ni compris.
La Suisse compte parmi ses destinations de prédilection. Elle a été pour lui une vraie source d’inspiration. Wagner a trouvé dans nos montagnes le calme et l’inspiration dont il a besoin pour exprimer son génie. Plusieurs œuvres ont ainsi vu le jour. La plus célèbre d’entre elles est peut-être l’opéra "Tristan und Isolde".
Entre 1849 à 1872, Wagner séjourne à plusieurs reprises en Suisse. Deux villes ont le privilège de l’accueillir plus ou moins longuement, Zurich pendant quatre ans et Tribschen, dans le voisinage immédiat de Lucerne, durant six ans.
Chapitre 2
A Genève, une idylle avortée
Les raisons qui conduisent le compositeur dans notre pays sont multiples. La politique est peut-être l’une des principales raisons. A Dresde, il se lie d’amitié avec des esprits révolutionnaires. Et en 1848, il prend part activement aux émeutes qui agitent la Saxe. Condamné par contumace, le compositeur se voit contraint de fuir l’Allemagne. Il choisit de s’exiler en Suisse.
Sa route le conduit d’abord à Genève où il fait escale en 1850. Une certaine Jessie Laussot l’y attend. Le compositeur est jeune et fougueux et ne recule pas devant une idylle amoureuse. Mais Monsieur Laussot n’entend pas se laisser voler son épouse sans réagir. L’affaire faillit mal tourner. Et le courageux Richard rebrousse donc chemin.
Chapitre 3
A Zurich, chez les Wesendonck
Keystone - Gaetan Bally
Après l’épisode genevois, Wagner poursuit sa route vers Zurich où il fait la connaissance en 1852 d’Otto Wesendonck, un riche industriel du textile, actif dans la vie culturelle zurichoise et qui est aussi un grand admirateur de sa musique.
A cette époque, Wagner a déjà créé plusieurs opéras dont "Rienzi", "Le Vaisseau fantôme", et "Lohengrin".
Otto Wesendonck s’est fait construire une belle villa dans un quartier de Zurich appelé Enge. Il propose au compositeur de s’établir dans le pavillon de jardin qui jouxte sa maison, moyennant un loyer annuel de 800 francs. Baptisée l’Asile, la maisonnette est tout en brique et plutôt rustique, on ne peut s’y rendre qu’en empruntant un chemin traversant les prés.
Après la tourmente révolutionnaire de Dresde, Wagner qui a besoin de calme, saisit cette opportunité avec reconnaissance. C’est ainsi qu’en avril 1857, il s’installe à l’Asile. Dans ce cadre pastoral et paisible, il peut enfin se remettre au travail et reprendre l’écriture de sa future Tétralogie. En quelques mois, il achève ainsi le deuxième acte de "Siegfried".
C’est également à Zurich que Wagner esquisse les grandes lignes de son nouvel opéra, "Tristan und Isolde". Il en remet les premières pages à Mathilde von Wesendonck, l'épouse d'Otto Wesendonck avec qui il entretient une relation passionnée, avec une dédicace:
"Je dépose aux pieds de ma bien-aimée toutes les plaintes de Tristan et d'Isolde, leurs pleurs et leurs baisers afin qu'ils célèbrent les louanges de l'ange qui l'avait élevé aussi haut."
C'en est trop pour le pauvre Otto von Wesendonck qui juge préférable de quitter quelque temps Zurich. Dans l’espoir de recoller les morceaux avec Mathilde, il emmène sa femme à Venise et laisse Wagner à l’Asile où ce dernier continue de travailler à son opéra.
Ce qui n’empêche pas les deux tourtereaux de rester en contact. Ils s’écrivent des lettres passionnées.
Le 7 avril 1858, nouveau drame. Minna, l’épouse de Wagner, intercepte une lettre enflammée de Richard à Mathilde. Il s’en suit une bonne explication entre les deux époux qui décident de se séparer temporairement. Minna est envoyée prendre les eaux de Brestenberg.
Lorsque Minna et les Wesendonck rentrent à Zurich, les tensions entre les deux couples deviennent trop fortes. Les Wagner, dont le couple est déjà chancelant, décident de mettre fin à leur relation et de se séparer. Minna rentre à Dresde tandis que Wagner n’a d’autre choix que de quitter l’Asile et de reprendre la route. La tradition veut qu’il pose la dernière note de "Tristan" au Schweizerhof de Zurich.
Chapitre 4
En Suisse, avec Cosima
AFP
Wagner part à Paris, puis en Allemagne où son opéra "Tristan und Isolde", rencontre un succès retentissant.
Le compositeur est aidé dans la préparation des représentations par le chef d’orchestre Hans von Bülow. Et les choses se corsent. Hans von Bülow a épousé Cosima, la fille de Franz Liszt et de Marie d’Agoult. Elle est belle, intelligente, musicienne. Le cœur de Wagner s’enflamme une nouvelle fois. Le voici qui tombe éperdument amoureux de Cosima. La passion est partagée.
Mais contrairement à Mathilde Wesendonck dont Wagner s’est épris à Zurich et qui n’a pas voulu mettre son mariage en danger, Cosima a moins de scrupules et entend vivre librement sa passion. Elle quitte son chef d’orchestre de mari pour vivre avec Wagner.
Neuf mois plus tard, en avril 1865, elle donne naissance à une fille qu’elle prénomme Isolde. La nouvelle s’ébruite rapidement et scandalise tout Munich. Déjà que les relations du compositeur avec les membres de la cour ne sont pas au beau fixe, ce scandale ne fait que les aggraver. Wagner est accusé d’abuser de la générosité et de l’admiration que Louis II lui porte.
Le 6 décembre 1865, chassé par les intrigues de la cour de Louis II, Wagner est contraint de quitter la Bavière. Et se remet en route direction la Suisse.
Si l’on en croit les archives du Cercle romand Richard Wagner, il s’arrête une semaine à La Tour-de-Peilz avant de se fixer à Genève où, le 23 décembre 1865, il loue une grande villa baptisée Les Artichauts dans le quartier de Sécheron, proche de Genève. Là, il peut enfin se remettre à la composition. Sur sa table de travail, les "Maîtres chanteurs de Nuremberg" dont il a interrompu l’écriture en été 1864.
Au printemps de l’année 1866, Wagner quitte Genève et choisit d’aller s’installer sur les rives d’un autre lac suisse, celui des Quatre-Cantons.
Il a l’opportunité de louer à Tribschen, non loin de Lucerne, un somptueux manoir. La maison est magnifique et peut s’enorgueillir d’avoir une longue histoire qui remonte au 15e siècle.
Wagner s’y installe pour de bon. Il va y séjourner pendant six ans, d’avril 1866 à avril 1872, six années qui comptent, dit-on, parmi les plus belles et les plus fécondes de sa carrière.
Aujourd’hui, la maison est inscrite au patrimoine culturel suisse et abrite le Musée Richard Wagner qui accueille les wagnériens du monde entier.
Chapitre 5
Un manoir lucernois
Keystone - Urs Flueeler
Si l'on connaît la magnificence de la maison Wahnfried de Bayreuth, on est alors ici surpris par la sobriété et la relative simplicité du manoir lucernois.
Les façades sont typiques des manoirs paysans de l'époque. D’un blanc immaculé, elles sont rythmées par un alignement de fenêtres serties de volets verts sur trois étages. Si le manoir surprend par sa simplicité, en revanche, l’environnement qui l’accueille émerveille par sa beauté.
La maison est entourée par un somptueux parc de trois hectares, magnifiquement entretenu et qui offre une vue éblouissante sur le lac, vue que Wagner appréciait beaucoup lui aussi.
De quelque côté que je me tourne, c’est un enchantement. Je ne connais pas de plus beau lieu sur la terre.
Malgré ses contraintes familiales - sa femme Cosima met au monde Eva en 1867 et Siegfried en 1869- Wagner travaille beaucoup à Tribschen. Il achève l’écriture du troisième acte de l’opéra "Siegfried", poursuit l’écriture du "Ring des Nibelungen", complète les "Maître chanteurs de Nuremberg", ainsi que la merveilleuse "Siegfried Idylle" qu’il souhaite offrir à Cosima à l’occasion de son 33e anniversaire.
La légende veut qu’au matin du 25 décembre 1870, il ait fait jouer l’œuvre dans le grand escalier de Tribschen par un petit orchestre de chambre. Si on la connaît aujourd’hui sous le titre de "Siegfried Idyll", la partition est restée dans la mémoire familiale comme la "Treppen musik", la musique des escaliers.
A Tribschen, les Wagner reçoivent volontiers leurs amis. Le musée Wagner contient le répertoire de toutes les personnalités qui sont venues à Lucerne ou ont entretenu une correspondance avec le compositeur et son épouse. On vient de toute l’Europe pour leur rendre visite .
C’est à cette époque que Wagner fait la connaissance d’un jeune admirateur, un certain Friedrich Nietszche, qui ne va pas tarder à devenir un familier de la maison. L'écrivain rendra visite aux Wagner plus de 20 fois et logera dans la chambre d’amis du couple.