Flamenco. Claro que si! Il n'y a ni à mégotter ni à ergoter. Ok, Rosalia est paya, c'est-à-dire non-gitane. D'accord, elle a grandi en Catalogne, loin de l'Andalousie, a appris la musique en classe et non au rythme du pas des mules ou du marteau du forgeron. Et alors? Elle ne serait pas 100% flamenca cette chanteuse dont la première syllabe de la chanson "Juro Que" fait immédiatement dresser les poils et monter la larme d'émotion?
Convoquons le poète, pas gitan lui non plus. "L'arrivée du duende implique toujours un changement radical sur toutes les formes. Sur des terrains anciens, il donne des impressions de fraîcheur totalement inédites, et une qualité de création nouvelle, de miracle, qui parvient à produire un enthousiasme presque religieux." Merci Federico Garcia Lorca. C'est exactement ça! Le sentiment d'un miracle, les poils qui se dressent, la larme, l'alarme: quelque chose se passe et c'est important, c'est fugace, il ne faut pas le manquer.
Du grand art populaire
Elle chante "Juro Que", Rosalia. Et 30 millions de personnes se branchent sur Youtube pour écouter la guitare imparable d'El Chicuelo et cette histoire où une femme dans un parloir déclare à son homme qu'elle l'attendra. Promis juré, elle vendra tout pour le faire sortir de là. Un tube avec la prison pour thème. C'est rare, c'est intense.
Qui d'autre pour oser ça hors du flamenco? Johnny Cash, Johnny H, IAM? Pathétique? Oui, certainement. On la suit quand même. 30 millions! Ce flamenco n'est pas folklore, c'est un art populaire. Du grand art populaire.
Du Flamenco d'aujourd'hui
Flamenco. Mais pas puriste, surtout pas engoncé dans la tradition avec ses boules antimites et ses gimmicks mille fois rabâchés. Dans "Juro Que", il y a de l'électronique, des bidules et des ficelles d'aujourd'hui. Une esthétique colorée qui ne déplairait pas au cinéaste Pedro Almodovar pour qui elle a tourné. Camaron de la Isla avait bien invité le rock à son banquet.
Rosalia fait la fête avec la pop, avec le hip-hop, et passe de Barcelone à Los Angeles en suivant son instinct. Celui d'une chanteuse de 27 ans bientôt qui cite parmi ses modèles aussi bien James Blake (sa voix de séraphin qui tutoie les nuages) que la rêche Nina de los Peines (sa voix de roche, brisée par l'incandescence). Son prochain album, le troisième, s'annonce hip-hop. Mais le flamenco ne la quittera pas.
Thierry Sartoretti/ld